Partie B – II Morale et Loi : Chapitre 1 : Confusion dans la forme de la justification morale à la base de l’euthanasie

Exemplaire du code de loi d’Ur-Nammu, Nippur, 3ieme dynastie d’Ur, vers 2112 – 2095 av. J.C.

    Comme le corps de nos lois criminelles fut articulé, en premier lieu, pour donner forme aux dictats du consensus moral, nous devons d’abord, avec la permission du lecteur, nous pencher sur l’état de ce dernier. Beaucoup d’attention sera accordée, par la suite, aux changements de paradigme en cours – le pourquoi et le comment des transformations que nous vivions actuellement – mais pour comprendre le présent et, encore plus, pour prévenir le futur, il faut partir d’une description adéquate du passé.

– la morale universelle et objective, versus la morale contextuelle, qui surgit à l’intérieure de la subjectivité humaine

     De par notre histoire – de par notre nature, diraient certaines (ou par décret Divin, selon d’autres) — nous avons hérité d’une tradition de moralité absolue, qui cherche à diviser catégoriquement le « bien » et le « mal ». Dans les chapitres introductoires à cet ouvrage, nous aurions déjà décrit ces faits en constatant que, pour la plupart, et à l’intérieure de toute société distincte, les gens auront tendance à croire que les choses « bien » soient bien — et que les choses « mal » soient mal — objectivement, de la même façon qu’ils s’accordent pour dire que le ciel soit bleu ou que l’herbe soit verte.

     L’expérience subjective de la faculté morale de l’individu se confond, ainsi, dans le consensus collectif, pour produire une impression naturelle de vérité manifeste. Pour l’ensemble des gens, donc, ce sont des évidences reçues, immuables et universelles ; et au cas où quiconque en douterait du bienfondé des préjugés collectifs, cette personne s’exposerait aux critiques et aux sanctions sévères, soit au sujet de sa raison, soit au sujet de son caractère.

      Pourtant, pour le lecteur moderne, la simplicité de ces certitudes se complique avec l’observation que différentes sociétés aient compris le bien et le mal — c’est-à-dire qu’elles auraient interprété, soit la nature humaine, soit la volonté divine — de manière très différente les unes des autres. En conséquence, au cours des derniers siècles, des voix se sont levées dans la littérature, dans le discours théorique — et finalement dans la politique — pour dire que la moralité ne soit qu’un artifice social, capricieux, et arbitraire.

     Certes, ce doute – cette hérésie – se fait âprement disputé parmi les théoriciens. De manière analogue à l’enquête scientifique, dirait-on, le fait que les gens se trompent et se disputent sur la nature d’une réalité morale profonde, n’impugne pas l’existence réelle de cette dernière. Pourtant, à cette différence avec les lois de Newton (et au grand dam des philosophes et des théologiens), il n’existe aucune démonstration rigoureuse d’un tel ordre moral dans l’univers.

     Voilà donc, deux grands pôles d’attraction dans la pensée éthique et morale : primo, la notion d’un ordre absolu et immuable ; secundo, celle d’un univers sans aucun attribut éthique intrinsèque, où la morale humaine ne soit qu’une construction contextuelle.

     La première hypothèse, de bien catégorique, est soutenue par le penchant intuitivement naturelle de l’être humain, et se trouvent enracinée dans les mœurs de toute société connue, jusqu’au présent, qu’il s’agit des civilisations les plus primitives ou les plus sophistiquées.

     La deuxième, d’un vide moral — dans un univers essentiellement mécanique — que les êtres humains comblent selon leurs besoins changeants, semble pour plusieurs (possiblement partisanes d’un consensus officiel en devenir) se présenter en fait simple et incontournable, soutenu par les conclusions vérifiables de la science.

     Les arguments des deux bords de ce gouffre intellectuel sont d’une extrême subtilité théorique que je préfère éviter pour l’instant, mais du côté pragmatique, il serait toujours utile pour notre discussion présente, de constater certains avantages dans le paradigme de morale relative (voir artificielle), dont bénéficieraient tout partisan de changement macrosociale, ainsi que tout individu non-conformiste, qui pratique des comportements proscrits par l’ordre dominante. Car une fois la porte ouverte à la pluralité de possibilités éthiques, littéralement n’importe quelle proposition peut devenir défensable.

     Plus encore, très souvent, les apologistes de changements radicaux ou de comportements proscrits n’entreprendraient même pas la démonstration de la moralité des innovations proposées, se contentant, plutôt, de souligner la position non-scientifique des « moralistes » auxquels ils s’opposent. Car d’après cette stratégie, les moraux de leurs adversaires sont irrecevables simplement parce que ce sont des moraux (catégoriques), dans un univers que la science prétendrait amoral (sans l’intervention humaine). Et alors, peu importe les détails ou les conséquences des politiques proposées, nous sommes invités d’y adhérer, simplement en foi du fait que leurs apologistes auraient aux moins la franchise et la sophistication de répudier toute prétention à l’universalité morale.

     Dans le domaine des comportements individuels, l’attrait de cette logique serait plutôt évident. Quoi de mieux, en effet, que de comprendre que la morale catégorique n’existe pas, et d’improviser librement l’action personnelle sans le moindre souci éthique, outre les pulsions (désirs) qui nous arrivent naturellement ? Et voilà ! Même si nous ressentions un petit malaise passager, devant une telle notion, la vérité c’est la vérité, non ? La science, c’est la science !

      Reste, donc, la question inévitable au sujet de pourquoi les gens s’obstineraient à créditer, toujours, l’existence d’une véritable morale universelle — d’un partage objectif du « bien » et du « mal » — qui puisse servir de base aux lois humaines. Le lecteur serait même en droit de nous demander pourquoi tant d’espace et d’énergie serait fourni, ici, dans la considération de tels principes archaïques.

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