— Un survol général de l’écart qui sépare la perception des suicides médiatisés, et les faits observés
Devant les récits des journaux, et plus particulièrement devant notre exemple d’amoureux vedettes, il serait normal de présumer que nous nous trouvions devant un choix binaire ou les deux cornes du dilemme sont de poids égal. On pourrait même, à la limite, me reprocher mon parti-pris personnel, qui se serait manifesté dans le fait que j’aurais présenté deux survivants, Terry et Gerald, pour une seule suicidaire, Pauline.
Or, les faits ne confirment pas cette hypothèse. En fait, les suicidaires sont, de beaucoup, surreprésentés dans les nouvelles, là où les préjugés du publique trouvent leur source. De l’autre côté, nous trouvons, bien sûr, les héros, tels Terry Fox, Gerald Godin, Christophe Reeves (Superman), ou Michael J. Fox ; mais parmi les personnes atteintes de maladies sérieuses, ils en existent de beaucoup plus nombreuses qui ne font que dissimuler leur infirmité le plus longtemps possible, et qui s’éclipsent doucement, dans la vie privée, par la suite.
Et, aussi célèbre que puissent paraitre nos vedettes dans les jours de leur gloire, en vieillissant, personne n’y songe pendant de longues années, et ce ne sont que les plus ainés parmi nous qui s’en souvient, avec surprise, à la nouvelle du décès inévitable ; tandis que les plus jeunes, d’habitude, ne placeraient même pas le nom du défunt, ignorant totalement de qui il s’agit.
Des suicides, par contre, de personnes célèbres et célébrées dont la présence demeure encore actuelle, ce sont des nouvelles de grand intérêt qui seront répandues à l’échelle planétaire ; et il en résulte une distorsion, inévitable, dans la perception de l’importance quantitative du phénomène.
De plus, ces suicides sont le fait de personnes intensément aimées par leur public. Il en résulte un désir naturel de les comprendre ; de sympathiser avec leur sort ; de les donner raison ; de s’identifier en solidarité avec leurs choix ; et, dans les journaux : d’employer un ton et un vocabulaire d’admiration qui aurait l’effet regrettable d’idéaliser, dans les esprits plus réceptives et vulnérables, des gestes qui restent, somme tout, assez marginaux et atypiques, dont il serait plus à propos, je crois, d’exprimer notre tristesse et notre déception, plutôt que de nous en féliciter
Toujours est-il, pour reprendre la seule perspective quantitative : il y en aurait, toujours — et trop souvent — de ces disparus tragiques et publiquement regrettés ; mais les personnes impliquées, dans ces épisodes iconiques, sont de beaucoup moins nombreuses que celles qui persévèrent, tranquillement, à la retraite.
– La normalité de la persévérance vitale
Or, ces gens qui acceptent le dépérissement du temps et du sort, humblement, avec philosophie et persévérance, se trouvent partout autour de nous. Nous les connaissons tous : ils sont nos parents ; nos amis ; nos collègues de travail. L’entêtement publique de Terry Fox, à rester debout quel que soit la souffrance encourue, trouvent son reflet discret, mais parfaitement fidèle, chez cette vaste masse de personnes ordinaires pour lesquelles chaque journée active est, aussi, une marathon : cette serveuse aux chevilles enflées ; ce mécanicien aux genoux pourris et aux maux de dos chroniques ; tous ceux avec la pression élevées ou le sucre bas ; ceux qui consomment des quantités phénoménales de préparations anti-douleurs ; ceux, enfin, qui — le mercredi soir venu, quand les voisins bien-portants repartent pour profiter des activités en soirée –ne pense qu’à se coucher, dans l’espoir de pouvoir, encore demain — peut-être — relever le même défi exténuant. Tel, pour vraie dire, serait le destin naturel de tout être humain en vieillissant : un destin accommodé, avec plus ou moins de sérénité, par presque tous, incluant aussi, ceux qui se trouvent dans les catégories ciblées, pour lesquelles le suicide médicalisé soit aujourd’hui proposé en option privilégiée.
Ce sont ces personnes, enfin, qui se trouvent mal servies par la médiatisation spectaculaire et tendancieuse des questions entourant le droit à mourir, caractérisée, le plus souvent, par un vocabulaire et un parti-pris dans le ton, qui minent la confiance personnelle — et qui contaminent la perception publique — de ces « héros du quotidien » qui sont, pour répéter l’essentielle : largement majoritaire.
Mais encore là, avec de tels propos généraux je risque de me faire reprocher un manque de rigueur dans l’argument, alors dans ma défense, je fournirai, ici, quelques chiffres « durs ».
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