(Tome Premier : l’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section V : Considérations pratiques : pertes financières et humaines à prévoir suite à l’utilisation des professionnels médicaux comme agents homicides — Chapitre : Instrumentalisation de la Mystère médicale pour rendre acceptable l’euthanasie)
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J’aurais terminé le dernier chapitre sur une interrogation : à demander comment nous pourrions toujours vouloir procéder avec un mandat d’euthanasie accordé, généralement, à tous les professionnels de la santé, quand-même bien que les avantages de restreindre cette pratique entre les mains d’un petit nombre de spécialistes soient tellement évident ?
Comment, donc, expliquer le laxisme actuel qui consisterait à confier cette charge de confiance, non à des individus particuliers, formés et mandatés spécifiquement pour s’acquitter de cette tâche délicate, mais collectivement, à tout membre pratiquant des professions médicales ? Comment, pour y insister, expliquer que nous pouvions, avec si peu de malaise, avec si peu de questionnement, et avec si peu de prudence, penser confier un tel pouvoir (et imposer les dangers psychologiques associés à son exercice) –au sort– au premier être humain venu, ou selon les statistiques canadiennes récentes : aux premières soixante-dix-sept-mille personnes venues (pour les seuls médecins), ou encore au premier demi-million d’êtres humains venus, si nous incluons aussi les infirmières ?
Cinq cent mille personnes collectivement mandatées à passer outre à l’interdiction universelle contre l’homicide ? Simplement en vertu de leur appartenance professionnelle ? Comment se peut-il ?
— L’image mystérieuse du médecin, source de remèdes miraculeux
La réponse, je crois, résiderait dans une utilisation tacite — parfois naïve, parfois complaisante et parfois, peut-être, plus cynique– de cette aura mystérieuse de pouvoir et de sagesse à laquelle la profession médicale serait associée, depuis toujours, dans l’imagination populaire. Tout simplement : la population ne doute pas des capacités des médecins d’assumer ces responsabilités ; alors les juristes n’hésitent point à les leur imposer.
Apparemment, il aurait semblé commode, sur le coup, pour nos juristes et législateurs de vouloir croire que les médecins — tous et chacun – puissent posséder une sagesse suffisante pour trancher judicieusement — dans la pratique et cas par cas — toutes les questions légales et morales épineuses qui se cachent, et qui perdure toujours, sous les vagues définitions des exceptions retenues pour légitimiser l’euthanasie. Et ce faisant, encore, aurait-il semblé également commode de vouloir imaginer : que les médecins puissent posséder, aussi, une résilience physique et psychique suffisante pour mettre ceux-ci à l’abri des stresses et des détresses qui affligeraient, certainement et avec virulence, d’autres membres plus représentatifs de l’espèce humaine. Ou dans d’autres mots : que les médecins seraient effectivement dotés de pouvoirs surnaturels et surhumaines.
Cela peut possiblement solliciter un sourire au lecteur plus habitué, de nos jours, à créditer une opinion plus pédestre (une opinion, d’ailleurs, qui serait particulièrement répandue à l’occasion de négociations sectorielles) : que le médecin ne soit devenu, dans les faits, qu’un travailleur spécialisé parmi tant d’autres. Mais je prétendrais, aussi, qu’un regard lucide sur les origines, sur l’évolution, et sur la pratique actuelle de cette profession, démentirait rapidement une telle évaluation.
Car au risque, encore, de m’attirer ce souffle de ridicule : j’en serais personnellement venu à la conclusion que cet empressement illogique, d’accorder n’importe quel pouvoir au médecin dans l’abstrait (sans scrupule ni réserve), reflète tout bonnement l’expression moderne d’un relent atavique et irrationnel, d’une reflexe de respect, et de soumission superstitieuse partout ressentie, jadis, devant le personnage auguste et terrifiant du magicien/sorcier. Un réflexe qui habite encore, je crois, les profondeurs obscures de notre souvenir ancestral ; ou dans des termes plus actuels : un respect instinctif — superstitieux et démesuré — ressenti devant un personnage dont les connaissances dépassent – littéralement — notre entendement, et plus sérieusement, dont les pouvoirs mystérieux constitueraient, dans les plus dramatiques des circonstances, notre dernier espoir de vie.
— Le médecin dans son rôle de sauveur
Considérons, à cette lumière, les gestes et les paroles suppliants de la mère apeurée dans le couloir d’hôpital, qui vole à la rencontre du médecin dans l’espoir de recevoir enfin des nouvelles rassurantes au sujet de son enfant ; ou encore le regard craintif du patient arrivé subitement aux soins intensifs, parfaitement conscient de la précarité de sa vie : un regard qui s’accroche aux moindres détails dans le travail –ordonné, incessant– qui déferle autour de sa personne ; un regard qui bondit littéralement à travers l’espace étroit à l’arrivée tant attendue du médecin.
N’est-ce pas vraie que ces paroles, ces gestes, et ce regard –tous remplis d’un désir de vivre et d’un espoir infini qui ne peuvent être égalés que par la peur ressentie devant la mortalité présente– témoignent d’une révérence illimitée que personne ne pourrait réellement mériter ? Une révérence qui serait le reflet d’un espoir fondé sur une foi, arrêtée, dans des pouvoirs guérisseurs que personne ne possède pleinement en réalité ? Des pouvoirs que les gens ordinaires, pris subitement dans l’urgence de l’extrême besoin, s’obstineraient, toute de même, à créditer au médecin ?
Considérons aussi l’ampleur, parfois presque religieuse, de la gratitude ressentie et exprimée par les survivants à l’égard de leur sauveur : le fait que cette mère puisse écrire, à la main, des lettres de nouvelles accompagnées de photos, à tous les ans, au médecin responsable ; et de transférer, aussi, cette devoir de remerciement à sa fille « miracle » dès que celle-ci saurait écrire à son tour ?
Est-ce hors propos que de mentionner l’histoire de cette révérence inédite ? De mentionner le fait que, jadis, tout guérison relevait du miracle ? Et que les guérisseurs présumés, shamans, prêtres, rois, et médecins, étaient d’emblée révérés comme des pratiquants de miracles ? Des personnes familières d’une dimension surnaturelle qui serait fermée aux autres ? Est-ce trop, enfin, de suggérer que cette aura de pouvoir, ou au moins le désir des patients d’y croire, suivrait toujours les médecins de nos jours ?
Même plus, je dirais, la désacralisation récente de la société, sous le signe de la science, aurait franchement contribué à cette révérence extraordinaire. Car les habitudes de la pensée et des préjugés humains sont extrêmement coriaces ; et l’homme ordinaire, dans sa quête pour la certitude rassurante, aurait toujours tendance à créditer les autorités de son époque avec des pouvoirs impossibles.
Et si, de nos jours, il se serait souvent remarqué que le respect superstitieux accordé, jadis, aux prêtres et aux philosophes se soit transféré, maintenant, aux corps scientifiques, je ferais en conséquence la remarque suivante : que le médecin modern soit, à la fois, le successeur direct de la tradition ancienne et le visage le plus familier du paradigme nouveau. Car de toute évidence, il y aurait eu continuité singulière dans le statut social du médecin, qui se serait maintenu et même renforcé à travers cette période ou les prêtres, les philosophes et les hommes de lettres perdirent leur ascendance au bénéfice des scientifiques ; car le médecin, lui, de par la dérivation unique de sa profession, serait à la fois prêtre, philosophe, homme de lettres et scientifique.
— Aucun autre corps professionnel aurait pu recevoir un tel mandat
Clergie ? Technocrates ? Juristes ? Académiques ? Dans les moments de crise extrême, nuls autres ne peuvent se comparer quant au respect accordé.
Or, il me semble que cette considération publique débord nettement du domaine de ce qui serait raisonnable, ou même rationnel. Et la preuve je soumets, résiderait palpablement dans la matière dont nous nous préoccupons ici : car sans une considération proprement irrationnelle, il serait impossible, à mon avis, d’imaginer une circonstance ou la société puisse accorder un mandat homicide, largement discrétionnaire, à tous les membres d’une corporation professionnelle, sans même penser à la nécessité d’étudier les circonstances de chaque candidat cas par cas.
Ce serait, pour utiliser le vocabulaire d’une génération maintenant révolue : « donner le Bon Dieu sans confession ».
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