(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : La science et l’idéologie : matérialisme, évolutionnisme, collectivisme)
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— La science au renfort du romantique
Tel que nous l’avions observé au cours des chapitres précédents, le dix-neuvième siècle fut marqué par la consécration d’une nouvelle dominance, militaire et économique, des puissances protestantes du nord de l’Europe. En conséquence, il s’en serait produite une floraison sociale, littéraire, et culturale, impliquant une grande partie des populations de la zone Teuton et Anglo-Saxon.
Au début du vingtième siècle, alors, et nonobstant les rivalités compétitives qui subsistaient toujours parmi eux, non-seulement les états Allemands comme tels, mais l’Angleterre aussi — la Scandinavie, et même l’Amérique — se seraient combinés dans une grande alliance culturelle de tous ceux qui se reconnaissaient dans cette poésie exaltante : dans ce mythe « national » qui expliquait si adroitement (qui justifiait en fait) l’émergence de leur pouvoir, et de leur prospérité.
Mais ce n’est pas tout. Car parallèlement à l’élaboration de cette nouvelle poétique identitaire, il existait un puissant ouvrage scientifique, qui invitait les esprits plus audacieux vers des spéculations métaphysiques, aux implications idéologiques puissantes ; qui promettait un basculement complet du paradigme éthique, et spirituel, fondé dans les présomptions théistes d’antan ; des spéculations qui s’accordait à merveille pour soutenir les prétentions suprématistes du néo-primitivisme Teuton.
Or, les deux noms les plus fortement associés à cette transformation sont ceux d’Isaac Newton (1642 – 1727) et de Charles Darwin (1809 – 1882).
— Isaac Newton et le Matérialisme
La Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica (1687) d’Isaac Newton, produisait des ondes de choc qui réverbèrent encore de nos jours, du fait qu’elle suggère la possibilité que la réalité puisse être expliquée en termes purement mécaniques sans aucune référence à la conscience volontaire, et encore moins, à la présence divine.
Il nous aurait pris plusieurs centaines d’années pour comprendre, même en partie, les ramifications d’un tel changement dans la pensée. Au début, le scepticisme théologique à base « scientifique », fut simplement instrumentalisé par les courants anticléricaux, dans le but de délégitimiser l’influence des religions existantes. Car l’on pensait, à l’époque, uniquement à améliorer la compréhension moderne d’une spiritualité éclairée. Et c’est ainsi que des intelligences de la stature sublime d’un Voltaire, ou d’un Franklin, aient pu sincèrement croire pouvoir substituer une Providence « naturelle » (pour le Dieu personnel de la tradition), sans pour autant altérer la morale, c’est à dire : sans remettre en cause la réalité apparente du bien, et du mal.
Pourtant, aux approches de l’année 1900, il en serait devenu de plus en plus évident (pour ceux qui désiraient s’y attarder sérieusement), qu’un univers strictement mécanique, c’est à dire un univers sans intention consciente, serait absolument vide, également, de tout attribut moral (en dehors des inventions ponctuelles de la société humaine). Au plus simple, il fut suggéré qu’il n’existait aucun standard moral (universel) ; aucune force de soutien à la morale ; et aucun jugement (d’ordre supérieur) à craindre.
Où dans d’autres mots : en autant qu’un homme seraient prêt à accepter les conséquences possibles de ses gestes — ici et maintenant — cet homme pourrait faire strictement n’importe quoi ; selon son bon vouloir ; sans consulter les opinions, les désirs (ou même les besoins vitaux) d’autrui ; et cela, sans craindre, ni le « karma » ni le jugement outre-tombe.
Voilà, nous en conviendrions, une proposition morale qui comporte des potentialités très étendues !
— Les ramifications morales de l’interprétation matérialiste
Pour en comprendre superficiellement la signification d’une telle philosophie, disons seulement que la certitude universellement partagée, de la volonté et du jugement divin, se posait toujours (traditionnellement) en contrepoids atténuant aux pulsions humaines plus regrettables. Pour être limpide sur ce point : pendant des milliers d’années, un peu tous et chacun aurait modulé son comportement sur la conviction (et la crainte) que la vérité morale serait éventuellement exprimée en jugement divin ; inéluctable pour chaque individu ; appliqué aux moindres gestes et intentions ; sans possibilité de dissimulation, ni de sursis.
Aussi, cette conviction, d’un standard et d’une responsabilité immuable, s’accordait harmonieusement avec les meilleures aspirations de la race. Car, depuis toujours, les hommes et les femmes auraient été souvent touchés, spontanément et intuitivement, de sentiments honteux à la vue de leurs gestes propres. Alors la crainte du jugement, couplée avec une foi dans la force soutenante de la grâce divine, fournissait une assistance formidable à l’homme particulier, ainsi validé dans sa quête volontaire de l’amélioration personnelle.
Or, la nouvelle interprétation métaphysique dite « matérialiste », introduisit un doute rongeur, qui sapait le cœur de cette dynamique. Car de quelle amélioration s’agirait-il dans un univers mécanique, sans attribut moral, et sans lendemain ?
Au mieux, les plus nobles pulsions de l’âme humain — qui sont les sacrifices de soi, consentis dans le but d’atteindre un bien qui dépasserait l’intérêt personnel — ne pouvaient plus être interprétées autrement qu’en adaptations d’instinct d’espèce. Et, selon cette pensée : ce serait précisément la libération, face à de telles impositions bêtes du devoir animal, qui représenteraient le plus élevé des buts, pour l’individu supérieur qui oserait s’en affranchir !
Décidément, il n’y avait rien de nouveau dans ce fait que l’esprit humain puisse chercher, toujours, des justifications pour ses bassesses — passées, présentes, et futures. Par contre, avec l’interprétation matérialiste, qui semblait couler avec tant d’autorité des observations d’Isaac Newton : il semblait, aussi, qu’un argument irréfutable ait été prodigué, enfin, pour tous ceux qui chercheraient une échappatoire aux tourments de la vie morale ; pour ceux, même, qui oserait passer outre aux remords qui hantent les plus reculés des recoins, de la conscience personnelle.
De plus, elle ne s’arrête pas là, la progression contaminante de cette tache conceptuelle ! Car au plus fort de l’interprétation mécanique, il serait postulé que chaque cause ne peut que produire infailliblement son effet, inéluctable, dans une chaine de causation qui soit inévitable depuis le tout commencement de l’univers, jusqu’à sa fin ; que tous nos gestes, alors — et toutes nos moindres pensées — seraient déterminés, ainsi, avant le fait et depuis le début. Dans aucun de nos faits et gestes, alors, aurions-nous possédé un choix autre (que celui actuellement pris).
Et quel serait, enfin, le statut moral d’un geste (ou d’un désir) proprement inévitable ? Quel serait la dignité morale d’une être humaine regardé en automate mécanique ? Quel serait l’effet d’une telle doctrine disséminée progressivement à travers le corps social ?
— Darwin et la compétition évolutionnaire
Le second de ces gros chocs scientifiques s’est produit avec l’apparition de « L’origine des espèces » (1849) de Charles Darwin, où se trouva exposée sa nouvelle théorie d’évolution « au moyen de la sélection naturelle ».
La proposition, dans cet œuvre, qui suscita la plus grande controverse fut, très certainement, la suggestion que l’être humaine ait pu être, aussi, une simple espèce animale — où dans la formulation populaire : que l’homme soit « descendu du singe ».
Mais l’idée Darwinienne qui a le plus influencé l’histoire moderne réside, plutôt, dans les implications sociales de sa théorie de sélection naturelle comme telle ; implications qui furent immédiatement évidentes dans le sous-titre choisi pour « L’origine des espèces », c’est à dire : « La lutte pour l’existence dans la nature ». Car cette idée (beaucoup plus favorablement reçue que la « descendance de l’homme ») fut immédiatement traduite par une seule petite phrase — dont la simplicité minimale ne pourrait se mesurer qu’en proportion avec l’énormité des ramifications sociales qui s’y trouveraient ultimement rattachées — soit : « La survie du plus fort » ; et ce fut cette phrase, qui fournissait la racine conceptuelle pour une doctrine sociale et historique, capable (comme elle s’est révélée dans la suite), de prétendre excuser n’importe quelles cruautés collectives ou personnelles, et même de les convertir, chemin faisant, en biens nécessaires !
Il ne faut pas s’imaginer, certes, que la théorie de l’évolution ait créé la misère humaine. Au contraire, la dureté de l’homme envers l’homme était préexistante et universelle (possiblement programmée de façon génétique). Et à tout le moins, devions-nous lucidement admettre que l’exercice de cette cruauté s’imposait, objectivement, en condition nécessaire, pour la construction de la civilisation préindustrielle. Mais toujours est-il, que les corollaires philosophiques de la théorie de l’évolution aggravaient, très certainement, ces circonstances préalables : car elle fournissait une nouvelle rationalisation, justifiante, pour excuser les pires pratiques, telle l’esclavage ; la différentiation des classes et des nations ; l’instrumentalisation de l’être humain en bête de travail (ou en simple chose de convenance) ; et la misère générale des masses populaires.
Cependant, tel que les Stoïques classiques nous l’auraient si bien enseigné : à défaut de pouvoir changer les circonstances de nos vies, au moins existe-il un bénéfice dans la possibilité de choisir notre attitude mentale face à ces réalités. Et dans ce sens, l’interprétation popularisée de la théorie de l’évolution s’inscrivait malencontreusement en faux, face à plusieurs siècles de progrès humanisant dans l’esprit social. Car avec cette nouvelle glorification de la compétition existentielle, deux des plus beaux principes de la spiritualité chrétienne se trouvaient directement attaqués, soient : la charité, à l’endroit des pauvres ; et l’espoir, d’une vie éventuellement paisible (où « le loup habitera avec l’agneau » : Ésaïe 11:6).
Or, cette compréhension de la morale humaine (où les fidèles seraient sommés à porter secours à leurs voisins souffrants ; et où l’homme fidèle restreindrait ses instincts violentes dans un respect humble de « La trêve de Dieu »), se trouva subitement confrontée avec une nouvelle explication, « scientifique » celle-ci, selon laquelle la compétition (voir le conflit) serait l’agent premier du progrès ; et où la souffrance des « perdants », aussi atroce fit-elle, pouvait être comprise positivement : à l’intérieur d’une vision globale, de l’évolution de notre espèce, qui soit accomplie, précisément, avec l’élimination des plus faibles !
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