(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Sous-Section II c) : Quelle morale choisir ? — Chapitre : Une comparaison des avantages d’un droit de mourir universel, versus ceux du régime actuel d’exceptions médicales à l’interdit — Les bienfaits, du modèle de droit subjectif, pour la médecine, et pour les médecins)
Beaucoup sera dit à ce sujet dans la suite de ce livre. Au plus simple, cependant : sous un régime de droit de mourir universel, l’industrie médicale, et les professions médicales, pourrait être libérées de toute connexion avec le suicide assisté, voir l’euthanasie.
Et si, toujours, le contexte historique rendait le lien médical effectivement inévitable dans l’immédiat, un grand bénéfice, palliatif des torts appréhendés, pourrait quand-même être réalisé en favorisant un cloisonnement organique, à l’intérieur de la profession, qui puisse garder l’euthanasie rigoureusement à l’écart de la médecine typique, de sorte que soient minimisés les inconvénients résultant d’un côtoiement illogique des deux pratiques, parmi les mêmes personnes et dans les mêmes lieux.
— Les bienfaits du modèle de droit subjectif, face à la morale publique
Au niveau social, la liberté subjective permet la satisfaction de désirs minoritaires, sans obliger la collectivité à soutenir la moralité, objective, de ceux-ci. De la même manière, alors, que la société puisse permettre la consommation de l’alcool, sans tenter de défendre le phénomène en soi, la collectivité pourrait, aussi, permettre le suicide assisté sans le cautionner.
Il serait difficile, je crois, de surestimer le bénéfice potentiel d’une telle distinction présentée avec clarté, car, malgré la dominance actuelle des notions d’éthique plurielles – contextuelles et relatives – l’esprit humain cherche toujours, tout naturellement, à y discerner des absolus.
Comme nous avons constaté : la définition de critères objectifs d’exception encourage la conclusion malheureuse que ces exceptions – ce qui veut dire dans notre discussion, ces suicides – soient « biens ». Cette conclusion n’est pas, peut-être, strictement inévitable au point de vue logique, mais dans la pratique — parmi les gens tels qu’ils le sont — je n’hésite pas à la stipuler comme pragmatiquement inévitable.
Sur le terrain du réel, par exemple, Il me semblerait très difficile (voir impossible) d’imaginer une situation où nos décideurs pouvaient officiellement mandater des protocoles mortels — selon des critères d’admissibilité objectifs et réalisés par la main de l’État — sans être éventuellement contraints à défendre la moralité, inhérente, des gestes posés. Or, telle conclusion se porte en faux face aux convictions intimes d’une très large partie de la population qui se sent trahie de ce fait — ignorée, abandonnée même — par le pouvoir social.
Par contre, le simple respect d’un droit — d’un choix subjectif et arbitraire — sans compromettre l’État dans la satisfaction de sa réalisation, n’engagent en rien la collectivité dans le cautionnement du bien-fondé moral de ce choix. Et telle, décidément, est la nature essentielle de la liberté : car celui qui possèdent un choix véritable, en assume, seul, la responsabilité morale de ses gestes.
Malheureusement, cependant, apparemment pour satisfaire aux instincts universalistes de la moralité publique (et possiblement, aussi, pour en maximiser la pratique), nos décideurs se sont obstinés à chercher une justification objective pour le suicide assisté et l’euthanasie. Or, pour résoudre les difficultés et les incohérences qui sont clairement inséparables d’une telle démarche, ces messieurs-dames auraient tenté de remettre le tout sous la responsabilité neutre de l’autorité médicale.
— Une tentative fâcheuse d’instrumentalisation de l’autorité scientifique, qui dissimule mal la main de l’État
Dans notre société contemporaine, une présomption aussi fausse que facile a pu souvent trouver crédence : que l’éthique scientifique (médicale) puisse transcender la morale ordinaire ; et que les préjugés personnels qui colorient toujours cette dernière, en seraient chassés par la pureté de l’objectivisme.
Mais quel désastre, alors — et quelle trahison — que de constater que l’éthique médicale (cette morale issue d’une autorité imputée supérieure) ne se soit révélée, dans cette occurrence précise, qu’une construction politique de circonstance, improvisée dans les délibérations des juges et des législateurs !
Superficiellement, toujours, le but visé par le pouvoir fut atteint : car très évidemment, si la mise à mort était définie en soin médical scientifiquement indiqué (grâce à des critères objectifs), il serait impossible pour les corporations de médecins d’éviter l’obligation de soutenir sa moralité (une leçon ironiquement soulignée par le fait que l’Association Médicale Canadienne défend maintenant la moralité de l’euthanasie, à l’étranger — notamment devant l’Association Médicale Mondiale ; et cela, en dépit du fait que la grande majorité de ses membres s’opposait, encore, toute dernièrement, à sa décriminalisation !).
Plus sérieusement, pourtant, faut-il se demander : de quelle autorité fut-elle dérivée, cette déclaration de « bien » médicale ? Est-ce que ce fut, par exemple, grâce à la poursuite d’un processus organique de questionnement rigoureux au sein d’une communauté médicale, jouissant, jusqu’alors, d’une indépendance professionnelle presque complete ? Est-ce que ce fut une conséquence de l’évolution libre de l’éthique médicale (qui se soit articulée, parmi ses adeptes, jadis, avec une parfaite autonomie depuis plus de deux milles ans) ?
Mais, horrible malheur que non ! Car au Canada, l’industrie médicale prend la forme d’un service, monopole public, où l’État agit en mandataire unique, seule source de capital, et seule source d’emploi. Or, dans cette circonstance tant extraordinaire, où la légalisation de l’euthanasie signifia un changement si radical dans la tradition médicale, l’État, forte de sa puissance structurelle et économique, se permit de prétendre pouvoir définir la nature des soins médicaux par voie législative !
Alors, derrière cette façade d’autorité scientifique, (utilisée malencontreusement pour justifier ce changement tant significatif de la morale traditionnelle), il ne se trouva, à la fin, qu’un décret d’état ! Et c’est ainsi que le pouvoir politique contextuel, ait fait fie aussi bien de l’éthique médicale, que de la morale commune. Et face à l’opération fourbe de cet engrenage de justifications ad hoc, il serait difficile d’éviter la triste conclusion : 1 ) que l’éthique médicale au Canada ne soit devenue à peu près n’importe quoi qu’en inventerait l’État et 2) (puisque cet État aurait si impudemment instrumentalisé l’éthique médicale à cette fin) que toute discussion plus générale de la moralité sociale, en soit éventuellement compromise.
Or, il y aurait des inconvénients, très certains, dans une vie de société où il existe une perception populaire voulant que le bien et le mal puissent être proclamés, changés – révisés — selon les caprices de la politique ponctuelle.
— Une fausse vision de l’homme — sujet passif de l’autorité — qui soit content de « se faire dire »
Naturellement, la psyché humaine ne fonctionne pas ainsi. Le bien et le mal sont des notions très sérieusement soutenues par l’homme (ou la femme) type. Bien sûr, nous ne nous accordons pas toujours sur la nature de ceux-ci, mais nous tenons ferme, du moins intuitivement, à créditer leur réalité. Nous avons des croyances ; nous avons des convictions ; et surtout, de générations innombrables de penseurs (et de gens ordinaires) se sont trouvées — parfois sur l’échafaud et parfois sur le champ de bataille — dans la défense sincère de leurs interprétations de ces idées.
Ou, pour présenter la chose sous un aspect moins dramatique : nous avons des opinions ; et cela nous importe. Alors, même dans la poursuite des projets de manipulation sociale les plus audacieux, il serait une erreur percutante de croire que la population puisse consentir, docilement, à se lever à tous les matins pour apprendre passivement à partir des nouvelles de télévision, ou de journal, comment la nature du bien et du mal eut changé pendant la nuit ! Une docilité semblable nous rappellerait, d’emblée, l’abrutissement des populations assujetties de force aux caprices autoritaires, et ne seraient aucunement compatible avec les idéaux contemporains, d’une société démocratique et plurielle.
Tel, enfin, serait le génie et l’utilité des théories modernes d’une moralité officiellement plurielle et indéterminée : car selon ce paradigme, la collectivité peut (sous la pression de la nécessité pratique) permettre des comportements divers sans pour autant se voir obligée à les cautionner ; et en conséquence, le citoyen, individuellement, peut aussi trouver la générosité de tolérer, chez son voisin, ce qu’il ne pourrait jamais accepter en lui-même, ni en principe générale.
Dans le cas présent de l’euthanasie, l’État a clairement outrepassé les limites légitimes de sa fonction législative, qui ait dû se contenter (logiquement) de la seule décriminalisation de cette pratique. Car d’avoir présumé de statuer sur la légitimité morale de l’euthanasie, c’est à dire de l’avoir proclamé en bien : ce fut un pas de trop.
— Nous expliquer l’euthanasie devant nous-mêmes, et devant nos enfants
Aussi, pour présenter cette distinction d’une manière encore plus saisissante, considérons les différences qui se manifestent dans les explications que nous nous devions de fournir auprès de nos enfants, selon la nature du modèle législatif qui ait été retenu : car devant une loi qui cautionne des exceptions à l’interdit, justifiées en fonction de critères objectifs, nous nous trouvons, malheureusement, contrainte à les enseigner que le suicide soit un geste approprié (bien) dans telle ou telle circonstance prescrite, et de plus – devant la médicalisation du suicide au sein d’un régime de santé publique comme le nôtre — que nous avions aussi le devoir, collectivement, de fournir une assistance à la réalisation de ces suicides ; mais devant un régime de droit subjectivement arbitraire, par contre, nous aurions pu apprendre plutôt, aux jeunes esprits en devenir, que le respect dans la différence nous enjoindrait seulement le respect envers la volonté d’autrui, patient ou médecin — même si nous croyions personnellement que le suicide soit un mal en soi — et cela sans obligation, ni d’approuver, ni de faciliter, les gestes qui puissent en découler.
Car à partir d’un système de morale objective, nous n’avons, collectivement, que deux choix manichéens : soit de proscrire et de supprimer ; soit de cautionner et de promouvoir. Dans les deux cas il y aurait présomption de contrainte à l’égard des dissidents ; d’une façon comme de l’autre un nombre important de personnes se sentiraient brimées dans leur exercice de la conscience libre ; et il y aurait certitude, par conséquent, de conflit âpre entre deux groupes antagonistes (avec des résultats possiblement très désagréables).
Mais sous un modèle de morale subjective, au contraire, la possibilité existerait, pour l’une de ces factions opposées – sans, pour autant, se voir contrainte à compromettre ses convictions intimes — d’acquiescer dans une simple permission, aux autres, pour la satisfaction autonome de leurs désirs.
La différence est, donc, considérable.
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