Collectivisme utilitaire: les raisons économiques pour suggérer l’euthanasie des enfants handicapés

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV :La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: Collectivisme utilitaire: les raisons économiques pour suggérer l’euthanasie des enfants handicapés)

— Le “pourquoi” de l’infanticide sélectif

Notre tâche présente comprend la description de la proposition d’infanticide systématique présentée par Helen Keller en 1915, mais aussi, l’analyse des mobiles qui recommanda cette proposition, si favorablement, à tant de personnes de son époque

Or, commençons par la fin: À mon avis, le pourquoi du programme d’euthanasie utilitaire découle, tout simplement (autant en 1915 que de nos jours), du désir de maximiser la productivité du corps social, tout en délestant cette collectivité des éléments dépendants non-productifs; ou plus simplement dit: d’éliminer les bouches inutiles.

L’attrait de l’euthanasie, donc, serait économique.

Il est très important de garder ce constat simple à l’esprit, d’ailleurs, car même si les conclusions de Mme. Keller s’inscrivait (dans sa propre conscience) comme les conséquences rigoureuses de ses croyances Eugéniques et Socialistes, il ne faudrait pas tomber dans le piège de trop lier nos conclusions à la seule critique de ces systèmes. Car, au contraire, les forces économiques (tout comme les lois physiques) agissent de façon impersonnelle, dont la meilleure description tient de l’impartialité mathématique, et non des passions de l’idéologie. Et pour tout dire: dans la mesure que l’euthanasie puisse épargner de l’argent, son attrait serait universel.

Cependant, il faut toujours suivre la pensée de Helen Keller dans la forme qu’elle ait choisi pour l’articuler: une forme qui se soit moulée aux modes intellectuelles de sa génération. Dans ce qui suit, alors, je tenterai de découvrir avec transparence la logique des socialistes (et autres collectivistes utilitaires), pour lesquelles l’argument moralement neutre de l’économie se place toujours au centre des préoccupations.

— La santé publique, et personnelle, selon la vision collectiviste

Pour l’État Providence tel qu’il fut imaginé par Mlle Keller, toute politique devient ultimement une question de gestion de ressources.

Pour clarifier ce point, considérons d’abord sa compréhension des principes d’intervention de l’État providence (toujours à son époque un rêve du futur projeté) succinctement exprimée lors d’un discours prononcé devant le Labor Forum, à New York, dans le même mois que la publication de ses opinions concernant l’infanticide :

“L’État doit gouverner tout département de l’industrie, de la santé, et de l’éducation, de telle manière que les corps et les esprits, du peuple, soient maintenus dans un état de solidité et d’efficacité (italique de l’éditeur)”

Voici l’affirmation directe, et dans peu d’espace, des principes essentiels au collectivisme économique, présentés dans une forme idéologique qui occupe, dans quelque sort, la même place charnière que ce célèbre « chaînon manquant » de l’évolution humain (qui fut si ardûment recherché à la mème époque): car elle révèle la souche commune du collectivisme futur, avant sa bifurcation dans les deux grandes branches, Fasciste et Socialiste, de droit et de gauche, pratiquée quelques années plus tard. Voici, donc, l’essentiel de ce que toutes les ramifications de cette grande famille idéologique partagent en commun : L’État doit gouverner tous les aspects de la vie humaine, et ce, non pour le bénéfice des individus (quoique la protection publique de la santé des individus productifs en soit le sous-produit indéniable), mais plutôt: pour maintenir l’efficacité des individus dans le service de l’État, organisme collectif supérieur.

Beaucoup de cela, d’ailleurs, se recommanda très favorablement dans le nouveau environnement intellectuel d’affectation scientifique. Cependant, entre l’exhortation vers une gérance rationnelle de ressources communes, et une proposition franche de supprimer les effectifs humains improductifs, il se trouvent un gouffre éthique des plus profonds.

— Les réticences morales et les méthodes utilisées pour tenter de contourner celles-ci

Parmi l’auditoire-type de l’an 1900 il y avait, toujours, une majorité imposante de gens pour lesquelles la morale dominante fut celle de la compassion pour autrui, centrale pour la religion chrétienne, par laquelle nous sommes exhortés à respecter la subjectivité de l’autre, en nous référant à notre subjectivité propre ( “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, Marc 12:31)

Très évidemment, l’intérêt de l’individu serait de survivre, aussi dépendant fut-il. Or, jadis, selon l’ethos d’une valeur inhérente à la vie humaine (suffisante dans sa subjectivité en relation personnelle avec un ordre supérieur), il fut largement présumé que la protection des personnes dépendantes ait constitué un but idéal, permanent, vers lequel les énergies collectives devaient se diriger avec constance (et avec patience) selon les seules limites des possibilités réelles. En conséquence: même si elle pouvait être intuitivement attrayante, la notion d’évacuer les êtres dépendants dans le seul but d’éviter les dépenses inséparables de leur entretien semblait (pour plusieurs) simplement irrecevable.

Et c’est ainsi, je crois, que Mlle Keller (saisie de la nécessité de procéder avec subtilité en introduisant la nouveauté de son ethos collectif), aurait pris l’habitude Socratique de tenter, en premier lieu, d’amener son auditoire à admettre la nécessité logique de sa proposition, avant de la nommer avec précision. Elle ne nous dit pas, par exemple (au moins pas dans sa lettre d’appui au Dr Haiselden) que dans son univers moral, les intérêts de l’individu doivent, de façon axiomatique, être assujettis aux intérêts de la collectivité. Par contre, elle n’hésite pas à affirmer son corollaire pratique — que les coûts, pour les familles et pour la société, à maintenir l’existence des enfants handicapés, soient intolérables.

Surtout, elle commence par tenter de contourner le problème moral entièrement, en adoptant le vocabulaire des réticents: en faisant la redéfinition, en corrompant le sens, et très particulièrement: en pervertissant la notion de valeur “sacrée” (de la vie humaine).

— Recours à l’enthousiasme eugéniste

En se faisant la championne d’une nouvelle conception du “sacré” dans la vie humaine, Helen Keller s’en prévalait fortement de l’enthousiasme ambiante qui se manifestait, au même moment, à l’endroit de l’eugénisme.

Tout comme le fascisme et le socialisme, l’eugénisme projette des principes se voulant des plus “nobles”, qui se présentent en axiomes moraux, en compétition directe avec leurs contreparties traditionnelles. Pour l’eugénisme, encore, cela signifie une révérence pour l’amélioration biologique de l’être humain, par voie de purification génétique; et comme corollaire réciproque: un rejet vertueux de tout ce qui soit imparfait.

Mais il existe, toujours, des différences importantes entre l’eugénisme et les buts économiques, tout simples, de l’euthanasie utilitaire. Car les objectifs de l’eugénisme se résument seulement à favoriser la formation d’unions génétiquement désirable, et d’empêcher la transmission de traits nocifs. Une fois l’individu indésirable génétiquement neutralisé (avec la stérilisation, par exemple) il ne serait plus logiquement nécessaire d’évacuer cet individu personnellement. L’euthanasie strictement utilitaire, par contre (telle que suggérée par le proto-collectivisme de Mlle. Keller) relève d’une logique plus clairement ponctuelle et budgétaire: car il s’agit tout bonnement d’épargner (à la collectivité) les frais de l’engagement social reliés à l’entretien des déficients à long terme, sans autre mobile.

Or, par chance ou par dessin, les caractéristiques choisies par Mlle. Keller pour représenter la vie “sacrée” (“intelligence” et “pouvoir”) sont parfaitement adaptées pour soutenir le programme utilitaire. Car d’après cette analyse, la valeur de la vie individuelle est simplement redéfinie pour coïncider exactement avec son utilité pour l’État; et contrairement: le manque d’utilité à l’État, c’est-à-dire l’ absence d’intelligence ou de puissance physique –et la dépendance matérielle qui en soit le résultat– sont redéfinis pour signifier une exclusion du statut (protégé) de vie sacrée-humaine-utile.

— La généralisation, de la logique de l’infanticide utilitaire, pour annoncer l’évacuation éventuelle de tout être dépendant

Remarquons surtout, que l’existence d’une telle liste serait toujours plus importante que les éléments qu’elle contient, car pendant que nous nous amusions à considérer de la pertinence de tel ou tel élément, nous sommes en réalité amenés par l’auteur à accepté, sans critique, sa proposition centrale, soit : qu’il existe des caractéristiques dont la présence serait nécessaire pour estimer la vie; et son corollaire conséquent: qu’il existe des vies sans valeur; des vies que nous pouvons –ou plutôt que nous devions (par devoir sacrée)– éteindre.

De plus, cette définition des attributs positifs s’attaque non seulement aux enfants handicapés, mais potentiellement à la dépendance plus généralement, à tout être imparfait, que ce soit de façon intellectuelle (intelligence) ou physique (pouvoir), incluant toutes les lacunes possibles: de la folie à l’infirmité de l’âge. En admettant, donc, qu’Helen Keller ait su imposer son argument pour l’évacuation des nouveau-nés handicapés, la porte serait resté grande ouverte, au futur, pour bâtir sur le précédent ainsi gagné.

Par contre, le choix restreint des personnes directement ciblées dans la première instance, s’explique aussi par ce que ces personnes (les nouveau-nés handicapés), sont, de toutes, les plus vulnérables et les moins soutenues. Elles ne possèdent, très évidemment, aucun pouvoir pour se défendre personnellement; et elles bénéficient de très peu d’appuis extérieurs, du fait qu’elles n’auraient pas encore eu le temps nécessaire pour tisser des liens sociaux profonds avec les personnes autour (à la différence, par exemple, d’un enfant handicapé plus vieux, d’un camarade de longue date subitement devenu infirme, ou encore d’un parent vieillissant bien-aimé).

De manière plus générale, l’introduction progressive de la morale collective (voulant que les intérêts de l’individu –même les intérêts vitaux– soient subordonnés à ceux de la collectivité de façon axiomatique) non-seulement dans le contexte eugénique, mais aussi dans d’autres applications encore plus rudement disputées de la collectivisation économique (tel la confiscation projetée des biens personnels) ne pourrait pas se faire sans heurt. Or, dans ce contexte large, l’identification des nouveau-nés handicapés, comme une première cible relativement peu dangereuse, se recommanda très naturellement à l’esprit des stratèges.

Alors pour répéter l’essentiel: la proposition utilitaire d’Helen Keller est motivée, d’abord (selon l’analyse présente), par l’intérêt collectif économique (défini dans ses dimensions ethiques et quasi-religieuses les plus larges); et outre les calculs stratégiques qui limiterait son application initiale aux personnes les plus vulnérables, elle s’applique, potentiellement, à tout être humain chroniquement dépendant, quelles que soient les circonstances.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire : (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV : La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: “Bonheur”, “Intelligence”, et “Pouvoir” versus “Espoir”, “Foi”, et “Amour”: une fausse représentation de la satisfaction véritable, autant dans la vie “normale” que dans celle des personnes handicapées)

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