(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : L’euthanasie et la clientèle — Section II : La morale et la loi — Sous-Section II b) : La morale dite « subjective » — Chapitre : Le suicide assisté et l’euthanasie volontaire (aide médicale à mourir) regardés franchement, enfin, à travers la lorgnette du choix subjectif)
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— Un rappel des intentions de l’auteur
Dans les descriptions offertes jusqu’ici, au sujet des inconvénients subis par les personnes malades et handicapées (suite à l’instauration du régime institutionnalisé d’euthanasie volontaire), j’aurais parfois adopté un ton quelque peu catégorique, et même accusateur. Or, dans ma défense, je ne peux qu’affirmer que ce sont des faits qui me concernent de près, qui me sont connus intimement, et auxquels je réagis spontanément, avec passion ; des faits, enfin : dont une certaine intensité me semble personnellement nécessaire pour en effectuer la description authentique.
Je ne désire aucunement, cependant, que ces circonstances aient pu suggérer au lecteur que la suite de ce livre ne soit, enfin, qu’une dénonciation polémique des politiques actuelles. Car telle n’est pas mon intention. Pour rappeler le but déclaré de cette réflexion : je désire seulement collaborer — dans les limites du possible pragmatique — à l’atténuement des pires résultats de ces politiques.
Loin, alors, d’indulger un goût de dénonciation générale, mon dessein, au cours des chapitres précédents, fut d’abord, d’établir avec clarté une distinction, que je considère de première importance — mais non suffisamment abordée dans le discours publique — entre les effets strictement dus à la décriminalisation du suicide assisté, et ceux, plus large et plus pernicieux, qui résultent de la médicalisation de ce dernier, c’est-à-dire : de la transformation du suicide en euthanasie ; de l’association objective des malades/handicapés aux critères médicaux ; et de l’instrumentalisation des professions médicales.
— Un débat mal engagé aboutissant au mauvais port
L’accès à l’euthanasie fut accordé, certes, pour honorer la volonté subjective de suicide. Pourtant, dû à la force — traditionnelle (et intuitive) — de la présomption d’une morale universelle et objective, la bataille de la décriminalisation s’est quand-même gagée sur ce terrain familier.
En conséquence (et selon les règles du débat objectif), la défaite des adversaires fut totale : l’euthanasie était non seulement tolérée, subséquemment à cette légalisation, mais positivement redéfinie en bien : dès et désormais, les suicidaires auraient non seulement droit, mais raison aussi, de se prémunir d’assistance dans leurs desseins suicidaires, et même de mourir par la main des tiers. Car ces assistances – ces homicides – en seraient devenu des actes vertueux, accomplis par des médecins dans la décharge scrupuleuse de leur devoir !
Cependant, comme prix accessoire, fallait-il aussi accepter les torts infligés sur la logique interne de la profession médicale (qui se trouva, de ce fait, dénaturée en profondeur) ; les torts subis par les médecins d’adhérence hippocratique (qui ne pouvaient plus, que très difficilement, pratiquer leur art intégralement) ; et surtout, les torts infligés sur la majorité, non-suicidaire, de la clientèle désignée (pour lesquelles la mort était, désormais, proposée en « soin » par les mêmes médecins dont ceux-là dépendaient pour assurer leur survie).
— L’ironie fâcheuse d’un tel aboutissement
Or, je peux facilement imaginer, à ce stade du récit, un petit soulèvement sardonique des sourcils chez certains promoteurs de la liberté personnelle, accompagné, possiblement, par l’observation, moqueuse, que ces problèmes ne sont que des blessures (sociales) inutiles — auto-infligées — dues uniquement à l’obstination des traditionalistes, d’obstruer le chemin du progrès ! Que le programme pur du « droit de mourir » n’a rien à voir avec cette médicalisation, et n’inclut pas, en fait, la moindre allusion : ni aux handicapés/malades ; ni aux médecins ; ni aux critères objectifs de justification.
Et dans le même esprit, badin et amical, nous pourrions répliquer, aussi, à ces charges : qu’une telle attitude, insensible, ressemble fortement à celle du criminel qui rapprocherait, à sa victime, l’inutilité des blessures subies suite aux efforts infructueux d’autodéfense !
Mais force est, aussi, d’admettre qu’il y aurait toujours un fond de vérité dans l’affirmation principale : que le droit de mourir, simple, n’a rien à voir avec la médecine.
— Articulation primaire du droit à mourir
Considérez, à ce chef, la formulation des buts visés qui fut offerte par le Dr. Philip Nitschke (l’un des plus influents parmi les promoteurs du droit de mourir). Au cours d’une bataille législative menée dans son pays natal de l’Australie (très similaire à celle que nous l’aurions connu plus tard au Canada) le Dr. Nitschke aurait fait la déclaration suivante : « que…(sic) toute personne rationnelle puisse … terminer sa vie d’une manière paisible et certaine au moment de son choix »
Aucun principe ne pouvait être plus limpide : il s’agit d’un droit de mourir sujet à aucune condition (sauf la capacité mentale nécessaire pour faire un tel choix) ; aucune mention, ni de « souffrances intolérables » ni de « déficiences physiques importantes », ni de « maladie ou de handicap grave », ni d’une « fin de vie raisonnablement rapprochée ». Pour tout dire, Il n’y a pas, dans ce manifeste, la moindre référence, ni aux conditions médicales, ni aux professionnels de la santé.
Car, pour le Dr. Nitschke et ses compères, le droit de mourir serait un droit humain universel : aucunement limité, ni aux circonstances, ni aux justifications objectives — médicales, ou autres.
(Parfois, il aurait pu sembler que le bon Docteur favorisait un âge minimum de cinquante ans pour faire ce choix létal, mais accueilli directement devant la question, il s’est prononcé, souvent et avec clarté, pour un simple âge de majorité, c’est à dire : l’âge de la raison, sans plus.)
D’après cette vision, donc, le premier droit de l’individu, c’est-à-dire le droit fondamental à la vie, signifierait aussi le droit de disposer de cette vie : que nous nous devions de respecter le jugement subjectif de l’individu, aussi, au cas où celui-ci puisse désirer mettre fin à son existence ; que nous devions même – en toute logique – permettre l’assistance des tiers dans la réalisation de telles morts volontaires.
En termes crus : Nous ne forcerions pas, à vivre, un individu qui désire mourir.
Mais voilà, aussi, ce qui nous explique le mécontentement qui perdure, encore, parmi ceux qui obtinrent gain de cause grâce aux décisions judiciaires (et aux innovations législatives) qui furent initialement réalisées : un mécontentement qui s’est manifesté immédiatement dans les faits, et qui était presqu’égale à celui des perdants. Car, très certainement, ce n’était pas les quelques euthanasies volontaires autorisées au départ qui auraient pu satisfaire aux militants les ayant réclamé avec tant d’assiduité. Pas du tout. Le but clairement articulé de ce lobby demeure d’une simplicité et d’une envergure sans compromis : la liberté subjective complète.
Et c’est ainsi que, dès la mise en œuvre, et avant même que l’encre eut (figurativement) séché sur les documents législatifs : divers actions juridiques et politiques furent immédiatement entreprises dans le but d’élargir la portée des exceptions admises à l’interdit (c’est à dire, d’élargir les critères d’admissibilité) ; et d’assouplir les formalités auxquelles les médecins participants devaient s’assujettir.
Soyons, alors, pleinement avertis : aussi longtemps que cette pratique sera assortie de conditions ; aussi longtemps ces militants continueront leur combat. Et autant que les critères médicaux seront étendus ; autant serait augmenté le nombre de personnes fortuitement prises dans ce drame de suicide « bien », vertueux et administrativement normalisé ; autant également, la profession médicale verra son mandat homicide élargi.
— La question de la liberté franchement posée
Il surgit, alors, dans l’esprit pratique, une question aussi inconfortable qu’inévitable, soit : n’y aurait-il pas lieu, au contraire – à partir d’une logique stricte de minimisation des torts — d’embrasser franchement le « droit de mourir » ; de libérer les handicapés, malades et mourants de l’opprobre mortel des critères objectifs ; de chasser le suicide, tout à fait, de l’espace médical ? Décidément, la question est bonne.
Or, la chose serait peut-être impossible, et très certainement dans l’immédiat : car nous ne pouvions pas simplement claquer des doigts et renverser, d’un coup, le statut quo social et légal qui se serait évolué organiquement pendant des centaines d’années — dans la loi et dans les mœurs — pas plus que nous ne pouvions redessiner les frontières de l’Europe sans consulter l’histoire des peuples qui les eurent donnés naissance. Mais du côté théorique, la question conserve toute sa pertinence, puisqu’elle nous ouvre, très vraisemblablement, une source particulièrement fertile auprès de laquelle nous pouvions chercher à puiser des pistes de solution futures.
Alors, je demanderais, ici, la complaisance du lecteur, dans un esprit de spéculation hypothétique, pour nous y attarder davantage.
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