(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Un aperçu du climat social dans lequel furent accueillies les nouvelles théories, moralement ambiguës, du matérialisme et de l’évolution : de la Mer au banc d’école — L’école résidentielle dans son apogée au dix-neuvième siècle)
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Dans ces lieux iconiques, et tant typiques de l’époque (dont le souvenir se perpétue, au Canada, surtout grâce aux controverses entourant les dernières écoles résidentielles mises sur pied dans l’espoir d’assimiler la jeunesse autochtone) la transformation de l’enfance privilégié au statut endurci de cadre impérial — militaire, administratif ou commercial — se pratiquait par deux volets complémentaires.
En premier, il y avait l’application libérale du châtiment corporel par les « maitres » (au point de constituer, objectivement, un régime sadique). Mais deuxièmement, et possiblement bien plus important, il y avait une affirmation de dominance, et de capacité naturelle, à l’avantage des individus les plus robustes, réalisée librement dans une société parallèle qui fut très largement auto-structurée parmi les garçons eux-mêmes : dans une communauté stricte d’honneur et de silence qui excluait soigneusement tout recours aux maitres ; loin de toute intercession possible de l’influence familiale ; avec toute la cruauté, et avec toute la noblesse, que nous pouvions voir exposées dans certains ouvrages consacrés à ce sujet, dont « Sa majesté des mouches » (Lord of the Flies), 1954, de William Golding (1911 – 1993).
Or, en parallèle avec l’émergence des personnalités dominantes, cette méthode procédait, également, avec la destruction équivalente des plus faibles, selon un schéma délibérément « purificateur » du corps social restant.
— Au-delà de l’idéalisation complaisante (et du pathos romanesque) : un regard prosaïque du « scientifique » Thomas Huxley
L’œuvre de Charles Dickens (1812 – 1870) nous fournit de nombreux exemples, pathétiques, de la vie d’école évoquée ci-haut ; mais pour échapper aux charges de romantisme fictionnalisé (et pour illustrer ces faits encore plus fidèlement dans les mots d’un illustre participant dans cette phase charnière de la transformation industrielle), j’inclus ici un court extrait des mémoires de Thomas Henry Huxley (1825 – 1895), Président de la Société Royale, et qui fut considéré, à l’époque, comme le plus grand enseignant et champion littéraire de la science moderne :
« La période de mon éducation régulière fut des plus brefs, et peut-être heureusement, car même si mes habitudes de vie m’ont rendu familier avec tous les types et conditions humains, des plus hauts aux plus bas, j’affirme délibérément (nos italiques) que la société dans laquelle je me suis trouvé, à l’école, fut la pire que je n’aie jamais connu. »
« Nous les garçons, nous étions des jeunes bien ordinaires, avec des capacités inhérentes de bien et de mal semblables à tous les autres ; mais les personnes placées en autorité au-dessus de nous se préoccupaient autant de notre bien, intellectuel et moral, que s’il s’était agi d’agriculteurs, éleveurs de bébés. »
« Nous nous trouvions abandonnés à l’opération de la lutte pour la survie — entre nous-mêmes — et le harcèlement acharné (« bullying ») fut la moindre des mauvaises pratiques courantes parmi nous »
Ce texte, je soumets, serait déjà assez dérangeant sans autre commentaire, en ce qui concerne cette caractérisation de la société à l’école privilégiée, comme étant « la pire … jamais rencontrée », et encore que l’auteur nous signale cette déclaration comme étant « délibérément affirmée » ! Mais il faudrait, en plus (pour comprendre pleinement l’intention de ces paroles) se rappeler des sentiments exprimés, plus haut, par MM. Woolman et Churchill au sujet de la vie marine : car Thomas Huxley avait été, lui aussi, intimément et longtemps habitué au régime de vie brutal, tant déploré sur la mer, et surtout, dans les navires de guerre de sa Majesté — là où Huxley avait lui-même servi (1846 -1850) comme chirurgien naval !
— L’intelligence moderne qui se révolte face aux réalités passées
Se serait possiblement difficile pour le lecteur contemporain d’admettre un contexte dans lequel l’opération ouverte de la cruauté ait pu être considérée, sinon en vertu positive, au moins comme une nécessité bénéfique dans l’éducation de la jeunesse ; et encore moins un système complet d’écoles pour garçons (non gratis comme de nos jours, mais où les familles payaient chèrement le privilège d’y faire éduquer leurs fils) ; des écoles, enfin, où la nourriture fut à peine mangeable, où les marques de châtiment étaient partout évidentes sur les corps des élèves, et où ce qu’on appelle aujourd’hui le bullying des faibles, était non seulement toléré par les adultes, mais où les maîtres eux-mêmes y prenaient les devants, et menaient par l’exemple.
Ce fut, pourtant, réellement ainsi. Car sous l’influence des forces culturelles décrites dans les derniers chapitres, la suppression de la faiblesse (incluant par nécessité la marginalisation et l’exclusion des individus faibles eux-mêmes) semblait, dans l’esprit sincère de ces maitres « modernes », faire partie intégrale de leur mission centrale dans la formation de la jeunesse. Telle fut (d’après la perception « réaliste » de l’époque) la vraie vie ; telle fut la nature véritable de la société ; et telles étaient les qualités (selon la meilleure compréhension pédagogique) qu’il fallait développer chez la jeunesse, pour en diriger le bon fonctionnement.
Voilà donc, dans quel contexte (et avec quel à-propos) fut arrivée, en premier, la théorie de l’évolution, avec son interprétation populaire inévitable (c’est à dire, la survie du plus fort) principe explicitement identifié par Thomas Huxley, dans sa description de la vie des écoliers.
— Un rappel des contraintes, et des ressources, héritées du passé
Il serait important, pourtant, de rappeler nos conclusions précédentes, en assurant le lecteur que ces paragraphes ne doivent contenir aucune suggestion que la doctrine matérialiste (et son pendant évolutionnaire), sont les causes des comportements inhumains catalogués à cette époque. Au contraire, cette cruauté semble proprement endémique à notre espèce. Même le régime de violence imputé à l’école résidentielle avait clairement ses racines dans un paradigme précédent d’éducation, assez féroce, chez les chevaliers de la féodalité et même parmi les guerriers de la préhistoire. Surtout, la pauvreté et la misère extrême, ces balises jusqu’alors constantes de l’organisation sociale, avait toujours été inévitables – que l’on le veuille ou non – grâce aux limitations techniques intraitables. Alors, tant que nous pouvions accabler nos aïeux de charges d’inhumanité les uns envers les autres, il faudrait avouer lucidement que très peu ne pouvait réellement être fait en proportion à l’importance du besoin, et ce, jusqu’à l’arrivée de la méthode scientifique (dans le seizième siècle), suivi de la révolution technologique de l’industrialisation (au dix-neuvième).
Et pour souligner d’avantage le fait que ce problème d’indifférence (devant la souffrance d’autrui), en était — au moins jusqu’alors – plutôt un de moyens, que de volonté : rappelons-nous de la dominance des croyances Chrétiennes, à peu près universellement partagées au sujet des devoirs de charité auprès des démunies.
— Une aspiration humanitaire ancienne, dont les réalisations s’élargissaient grâce aux ressources nouvelles
Auparavant, pour répéter cette vérité tant significative, la société humaine avait été conçue dans une vision spirituelle de l’univers. Et, en Occident, cette vision s’était toujours exprimée, au cours de l’ère Chrétienne, par un désir collectif d’harmonie qui se fût acheminé, socialement, vers un ethos de plus en plus charitable, et protecteur, à l’égard de l’autre.
Il y avait, ainsi, déjà en développement aux débuts de l’ère industriel, un programme social d’amélioration scientifique qui était solidement greffé sur les motivations, et sur les ambitions, du paradigme spirituel. Et ce programme se développa constamment en proportion avec la prospérité ambiante. Malheureusement, cependant, en évaluant cette ébauche, nous avons trop souvent tendance (de notre supériorité de perspective relative), de ne créditer que les pires récits Dickensiens des « Maisons des pauvres » des « Maisons de travail » des « Orphelinats municipaux » des « Maisons pour filles-mères » ou des « Écoles de correction ».
Certes, la vie y était extrêmement dure, et le potentiel d’abus à l’égard de la vulnérabilité absolu y était omniprésent et absolu, aussi, à son tour. Mais Il faudrait s’en souvenir, pourtant, des vrais alternatifs disponibles — non dans les idéalisations de notre opulence relative, mais à l’époque. Et surtout, faudrait-il toujours comparer la cruauté et l’abus, indéniablement subis par les habitants des institutions de secours, avec le vécu des personnes équivalentes au cours des siècles directement précédents — où la vie indigente mourra, très communément, de faim, à peine ou aucunement vêtue, dans la rue, à la vue de tous.
En réalité, donc, au dix-neuvième siècle, les doctrines humanitaires traditionnelles (appuyées par une prospérité qui se démarquait progressivement de toute vie humaine préalable), s’affirmaient dans la création d’une nouvelle réponse collective devant la souffrance. Et cette réponse prenait la forme d’institutions humanitaires publiques (dans les zones Protestant, ou laïcisées) et d’une expansion des institutions d’Église, sous financement étatique (dans les zones Catholiques survivantes, comme le Québec).
Or, n’en déplaise aux critiques, ces initiatives représentaient un progrès humanitaire certain, et notre tendance de nous en moquer des ébauches imparfaites procèdent, à mon avis, d’une attitude de suffisance très peu méritée. Car aussi facile et naturel que puisse être (pour prendre cet exemple) l’emportement scandalisé ressenti devant la barbarie des récits d’abus pratiqués à l’égard des célèbres « Enfants de Duplessis » (la dernière génération d’orphelins Québécois regroupée dans des institutions Catholiques, sous l’intendance du Premier Ministre Maurice Le Noblet Duplessis, 1890 – 1959), encore bien plus difficile serait la représentation objective du sort réservé, jadis, pour de tels êtres à l’extérieur de ces asiles austères. Où pour poser franchement la question : Que c’est qu’ils auraient bien pu faire de mieux, ces gens — nos ancêtres — avec les moyens dont ils disposaient ?
En clair, la nouvelle prospérité avait lancé une mode d’auto-critique véhiculée avec ardeur par plusieurs des écrivains les plus populaires de la période proto-industrielle (tels Hugo et Dickens) ; mode qui exprimait un désir général d’améliorer les conditions de la vie, et d’en humaniser les rapports. Surtout, cette tendance trouvait écho, avec de plus en plus d’urgence et d’effet dans la place publique, où elle en faisait presque consensus face aux intentions. Car, outre l’apport inestimable des nouvelles ressources matérielles, ce mouvement s’appuyait aussi (tel que noté) sur une tradition universelle de croyances philosophiques et religieuses multimillénaires ; exhortant à l’amour du prochain ; fondée dans une interprétation spirituelle de l’univers.
Or, pour le meilleur, ou pour le pire : les démonstrations empiriques des matérialistes semblaient invalider, complétement, ce cadre conceptuel.
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