(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV: Hippocrate bis : l’avortement — Chapitre : L’avortement : Une première brèche dans l’hégémonie hippocratique)
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— Une dominance hippocratique, apparemment assurée en permanence
Au début du dernier siècle (c’est à dire circa l’année 1900), et tel que nous l’avions décrit ailleurs, il exista une concordance quasi-parfaite — entre les conceptions corporatistes, morales, légales, professionnelles, et commerciales de la pratique médicale — qui semblaient être parfaitement réunies dans un respect intégral de l’esprit du Serment d’Hippocrate. Ni la contestation générale des principes moraux dominants (qui fut évidente à travers les années vingt et l’échec de la Prohibition), ni l’ascendance des théories utilitaires (caractéristiques du fascisme, et du bolchévisme, qui dominèrent les années trente), n’ont pu rompre les précédents — d’attente et d’intention — qui régissaient, depuis l’antiquité, la relation patient-médecin.
Tout au contraire, dans la mesure où l’instrumentalisation étatique du médecin ait pu subordonner les intérêts du patient à ceux de la collectivité, la défaite du Fascisme, 1945, suivie de la lutte permanente engagée avec le Bolchevisme soviétique (1946 – 1988), cimenta un rejet profond de ces pratiques au sein des états vainqueurs démocratiques. Alors, même à travers les pires secousses, de guerre et de crise économique, et ce, jusqu’à l’arrivé des Années Soixante, il aurait semblé, à maints observateurs, que le cadre hippocratique ne serait jamais remis en cause.
Pourtant, puisque l’une des revendications au cœur de la révolution sociale du vingtième siècle fut le droit individuel de définir, chacun, sa propre relation à la reproduction ; et puisque d’une manière pratique une telle liberté impliquerait, pour plusieurs, un recours quasi-inévitable à l’avortement : l’abjuration de l’avortement par les praticiens médicaux, sous l’égide des principes hippocratiques, les amena du jour au lendemain au banc des accusés, eux aussi, pour subir la colère révolutionnaire.
— Une confusion de principes et un tort inutile
Se serait la prétention exposée dans ces pages, bien sûr, que les leçons tirées des luttes autour de l’avortement aient été très mal appliqués à la question subséquente de l’euthanasie (et au préjudice évident de celle-ci). Mais toujours est-il que ce fut au cours de cette déchirement sociale intense — et pour la première fois depuis deux millénaires — que le nom d’Hippocrate de Cos se trouva conspué, et tourné à la dérision dans le discours public. Or, ce coup porté, cette blessure institutionnelle reçue, fut immédiatement compris par plusieurs comme une brèche fatale dans le rempart d’argument et de tradition qui entourait, aussi, l’euthanasie.
Ironiquement, une partie de la faute, qui fut responsable pour l’éclaboussure et pour la délégitimation soufferte par l’idéal hippocratique, au terme de ces batailles, incomberait plutôt au compte des traditionnalistes ! Puisque ces derniers, imaginant naïvement l’euthanasie comme une impossibilité sociale (à tort comme nous nous en apercevons de nos jours), ils se sont délibérément servis des parallèles superficiels entre ces deux phénomènes pour retarder l’événement de l’avortement libre. Et pour être plus précis : ces traditionnalistes auraient soutenu la thèse catégorique qu’une renonciation de l’interdit prononcé à l’endroit de l’avortement : 1) ne signifierait rien de moins que la fin de la médecine hippocratique, et 2) résulterait, à plus ou moins brève échéance dans la normalisation, aussi, de l’euthanasie.
Ce fut, comme nous pouvions le constater, une stratégie dangereuse. Car les promoteurs de l’avortement prenaient tout bonnement leurs adversaires au pied du mot. Ils devinrent convaincus, à leur tour, que la liberté de l’avortement dût passer obligatoirement par le démantèlement intégral de l’autorité hippocratique. Et en conséquence, investirent-ils beaucoup de créativité rhétorique dans l’atteinte de ce but exact, et avec des résultats appréciables.
Or, ce fut un dénouement, à mon avis, tragique et inutile : car le système hippocratique, tel que nous l’ayons décrit au cours des chapitres précédents, n’est pas principalement un système moral, mais aussi (et surtout) une puissante promesse d’intention commerciale, qui recommanderait ses adeptes à une partie particulière des consommateurs (mais une partie qui se révèle toujours majoritaire) ; c’est-à-dire, ces patients qui désirent retenir les services d’un médecin n’ayant aucun intérêt autre que le leur ; et en particulier : un médecin ayant explicitement répudié les actions homicides à leur égard. Perçue ainsi, la légalisation de l’avortement ne diminue en rien, ni la légitimité, ni l’utilité, de l’intention hippocratique dans la pratique médicale.
— À la recherche d’une perception plus juste
Devant ces constats, il serait très important pour le propos présent, de désengager avec soin ces deux phénomènes — qui sont l’avortement et l’euthanasie — à fin que nous puissions discuter rigoureusement de cette dernière, sur ses mérites propres ; et en passant, de réhabiliter quelque peu la réputation de notre ami constant, Hippocrate.
Mais pour ce faire, il serait également nécessaire de réexaminer l’avortement historiquement, dans ses rapports avec la profession médicale, et avec la tradition hippocratique ; avec toute la délicatesse requise par une telle matière, bien sûr ; mais aussi (heureusement), avec l’avantage de quarante ou cinquante ans de recul.
Et tel sera le sujet de cette nouvelle section du texte, ainsi entamée.
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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire…(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : L’euthanasie et la médecine : Section IV : Hippocrate bis : L’avortement — Chapitre : L’avortement II : Comment la digue traditionnelle fut subitement éventrée par le progrès technologique)
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Au début de la section présente (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV: Hippocrate bis : l’avortement)
(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo — Victor Hugo : un puissant apôtre de la réforme sociale)
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La philosophie sociale épousée par Victor Hugo (1802 – 1885) est bien connue, partout au monde, grâce à sa description célèbre — non inventée, celle-ci, mais tirée des registres juridiques — du forçat/victime Jean Val Jean (« Les Misérables », 1862), qui passa dix-neuf ans en captivité pour avoir volé un pain, dans l’intention de nourrir les enfants de sa sœur.
« …Cette sœur avait élevé Jean Valjean, et tant qu’elle eut son mari elle logea et nourrit son jeune frère. Le mari mourut. L’aîné des sept enfants avait huit ans, le dernier un an. Jean Valjean venait d’atteindre, lui, sa vingt-cinquième année…
Il faisait ce qu’il pouvait. Sa sœur travaillait de son côté, mais que faire avec sept petits enfants ? C’était un triste groupe que la misère enveloppa et étreignit peu à peu. Il arriva qu’un hiver fut rude. Jean n’eut pas d’ouvrage. La famille n’eut pas de pain. Pas de pain. A la lettre. Sept enfants.
Un dimanche soir, Maubert Isabeau, boulanger sur la place de l’église, à Faverolles, se disposait à se coucher, lorsqu’il entendit un coup violent dans la devanture grillée et vitrée de sa boutique. Il arriva à temps pour voir un bras passé à travers un trou fait d’un coup de poing dans la grille et dans la vitre. Le bras saisit
un pain et l’emporta. Isabeau sortit en hâte; le voleur s’enfuyait à toutes jambes ; Isabeau courut après lui et l’arrêta. Le voleur avait jeté le pain, mais il avait encore
le bras ensanglanté. C’était Jean Valjean.
…Ceci se passait en 1795. Jean Valjean fut traduit devant les tribunaux du temps «pour vol avec effraction la nuit dans une maison habitée»…
…Il partit pour Toulon. Il y arriva après un voyage de vingt-sept jours, sur une charrette, la chaîne au cou. A Toulon, il fut revêtu de la casaque rouge. Tout s’effaça de ce qui avait été sa vie, jusqu’à son nom; il ne fut même plus Jean Valjean; il fut le numéro 24601. Que devint la sœur? que devinrent les sept enfants? Qui est-ce qui s’occupe de cela? Que devient la poignée de feuilles du jeune arbre scié par le pied?… »
— Un homme public d’allégeance changeante, mais de principe constant
Décidemment, bien que longtemps monarchiste, Victor Hugo épousa pleinement l’esprit radical de son époque ; et il nous présente, ici, les présomptions à la base des apologies courantes, offertes non seulement pour les comportements criminels des individus, mais également pour les fureurs et les excès révolutionnaires : que la sauvagerie du peuple résulte de l’étroitesse de leur condition ; que la responsabilité en soit celle de la société, et non de l’individu ; des riches, et non des pauvres. Ou, selon un texte écrit de là même main, trente ans plus tôt (« Claude Gueux », 1834) : la maladie sociale resterait identique, malgré les changements de régime.
« …Voyez Claude Gueux. Cerveau bien fait, cœur bien fait, sans nul doute. Mais le sort le met dans une société si mal faite, qu’il finit par voler. La société le met dans une prison si mal faite, qu’il finit par tuer. Qui est réellement coupable ? Est-ce lui ? Est-ce nous ? »
« Jean Valjean était entré au bagne sanglotant et frémissant; il en sortit impassible. Il y était entré désespéré ; il en sortit sombre. Que s’était-il passé dans cette âme? »
— Une conclusion politique sans ambiguïté
« Claude Gueux avait volé un pain; Jean Valjean avait volé un pain. Une statistique anglaise constate qu’à Londres quatre vols sur cinq ont pour cause immédiate la faim. »
« Messieurs des centres, messieurs des extrémités, le gros peuple souffre ! Que vous l’appeliez république ou que vous l’appeliez monarchie, le peuple souffre. Ceci est un fait.
Le peuple a faim, le peuple a froid. La misère le pousse au crime ou au vice, selon le sexe. Ayez pitié du peuple, à qui le bagne prend ses fils, et le lupanar ses filles. Vous avez trop de forçats, vous avez trop de prostituées. Que prouvent ces deux ulcères ! Que le corps social a un vice dans le sang. Vous voilà réunis en
consultation au chevet du malade : occupez-vous de la maladie… »
— un rejet de la thèse de la singularité moderne
Il semblerait, aussi, et tel que nous puissions constater dans le fragment ironique de discours politique présenté ci-bas, que Victor Hugo ne crédita pas la théorie présentée par Musset, voulant qu’il se produisait — dans ce moment précis — une crise nouvelle, de criminalité et de vice, dont les sources résidaient dans la spécificité du monde moderne, en transition, urbain et industriel :
« Il est important, députés ou ministres, de fatiguer et de tirailler toutes les choses et toutes les idées de ce pays … ; il est essentiel, par exemple, de mettre sur la sellette et d’interroger, et de questionner à grands cris, et sans savoir ce qu’on dit, l’art du dix-neuvième siècle, ce grand et sévère accusé qui ne daigne pas répondre et qui fait bien ; il est expédient de passer son temps, gouvernants et législateurs, en conférences classiques qui font hausser les épaules aux maîtres d’école de la banlieue ; il est utile de déclarer que c’est le drame moderne qui a inventé l’inceste, l’adultère, le parricide, l’infanticide et l’empoisonnement, et de prouver par là qu’on ne connaît ni Phèdre, ni Jocaste, ni Oedipe, ni Médée, ni Rodogune ; il est indispensable que les orateurs politiques de ce pays ferraillent, trois grands jours durant … pour Corneille et Racine, contre on ne sait qui… »
— Des reflets de Rousseau et un regret de l’éloignement de la Nature
Notre auteur semble tirer, tout de même, une distinction significative, entre le crime sordide de la ville, et les délits plus francs qui se commettent au grand air des campagnes.
« … Il avait un fusil dont il se servait mieux que tireur au monde, il était quelque
peu braconnier; ce qui lui nuisit. Il y a contre les braconniers un préjugé légitime. Le braconnier, de même que le contrebandier, côtoie de fort près le brigand.
Pourtant, disons-le en passant, il y a encore un abîme entre ces races d’hommes et le hideux assassin des villes. Le braconnier vit dans la forêt; le contrebandier vit dans la montagne ou sur la mer. Les villes font des hommes féroces, parce qu’elles font des hommes corrompus. La montagne, la mer, la forêt, font des hommes sauvages. Elles développent le côté farouche, mais souvent sans détruire le côté humain. »
Très clairement, nous voyions dans ces phrases, un fort penchant vers la pensée de Rousseau, selon laquelle l’homme se corrompe dans la même mesure qu’il s’éloigne de sa « nature », et de sa vie « naturelle ». Mais quel qu’il en soit, le message essentiel qui ressort de toute lecture de Victor Hugo, demeure dans la conviction première que quelque chose ne tourne pas ronde dans une société où la masse populaire se trouvent tant maltraitée, à la manière de Claude Gueux et de Jean Val Jean. Mais il y a plus : Car Hugo nous lance, aussi, la déclaration d’une urgence d’agir.
— un homme d’esprit et de gestes, dont les paroles touchent toujours à l’action
À la différence de Gustave Flaubert, Victor Hugo ne trouva pas acceptable la simple complaisance dans une affectation, ironique et suffisante, au sujet de la constance immuable de la bêtise humaine.
À la différence de Alfred Musset, Victor Hugo ne se contenta pas, non plus, d’un désespoir paralysant, arrosé d’un vague espoir rédempteur voulant que les « générations futures » solutionnent, éventuellement, les crises inédites de son époque.
Et même si l’âme de Victor Hugo, elle aussi, fut intimement torturée par les violences de la société qui l’entourait ; et même si des références récurrentes — parsemées à travers tout son ouvrage — nous expose une attirance certaine vers l’abandon et la mort suicidaire : Victor Hugo nous communique toujours sa conviction inébranlable que nous nous devions de résoudre ces torts, plus tôt que plus tard ; qu’ils exigent de nous tous, maintenant, les efforts nécessaires pour en fournir des remèdes efficaces. En somme, Victor Hugo nous enseigne sur la profondeur du problème, mais ne s’arrête pas là : il nous enjoigne d’y réagir, effectivement suivant son exemple personnel, public et privé.
Contrairement aux critiques sociales précédentes, cependant, il se présente, ici, quelque chose de réellement nouveau ; quelque chose de proprement moderne et scientifique. Car chemin faisant, Victor Hugo nous fournit aussi (et même sans le savoir), une hypothèse concrète et susceptible de vérification empirique : qu’un monde libéré de la misère serait également un monde libéré du crime et du vice. Or, de par le miracle moderne, ce préjugé intuitif se trouverait bientôt exposé à l’essai pratique.
— Une déception vive des espoirs progressistes
Or, très tristement dans l’occurrence, la superposition d’inhumanités monstrueuses (sur fond de prospérité générale) — cette caractéristique tant surprenante du vingtième siècle — semblerait invalider franchement l’hypothèse Hugolien. Car d’après cette expérience récente, il s’est révélé avec la plus grande clarté, que les êtres humains n’auront nullement besoin d’être pauvres (au moins pas dans le sens traditionnel illustré par Jean Valjean) pour ressentir un besoin impératif de s’entre-tuer en masse, de dépouiller furieusement leur héritage ancestral, d’abandonner leurs champs, d’incendier leurs villes, leurs fabriques, leurs habitations.
En particulier, de manière moins dramatique, peut-être, mais d’autant plus envahissante dans la fibre sociétale : le rejet subséquent de la prohibition des boissons alcoolisées, et par extension la normalisation courante d’autres comportements clairement nocifs (dont l’usage abusif d’autres substances psychotropes, ainsi que le jeu et la prostitution) semble nous indiquer une tendance humaine, des plus tenaces, d’embrasser volontairement les dangers du vice, avec toute la criminalité, et avec toute la victimisation, qui s’y rattache ; et ce, très évidemment, même dans la possession de tous les moyens matériels requis pour s’en affranchir.
— Un testament non moins précieux
Cela ne veut pas dire (je tiens à préciser) que Victor Hugo ait eu tort pour autant, d’exiger de nous des solutions à ces problèmes, tant coriaces, de la société humaine ; mais il semblerait aussi, cependant, que ces problèmes ne se soient révèles autrement plus récalcitrants que lui — et souvent, ses successeurs les plus sincères — en ait pu imaginer. Mais cela étant dit : Hugo personnellement (et de ces faits j’en suis absolument persuadé), ne se serait jamais détourné (à notre place) de la tâche qu’il s’est si ardemment imposée ; et très certainement pas en conséquence de la simple invalidation d’une première hypothèse de départ.
Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire…(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture : Chapitre : L’esprit confiant du progrès moderne : enfin trouvé, mais perdu de nouveau)
(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : L’individu perçu en fraction de l’ensemble : l’âme collective)
— Le Darwinisme appliqué à la compétition nationale
À ce stade, du récit, nous ne pouvions plus limiter notre compréhension de cette maxime moralement aveugle (de « la survie du plus fort »), au seul cadre de l’ambition personnelle. Car fatalement, dans cette fin de siècle magnifique, du dix-neuvième, fallait-il aussi comprendre l’attrait de cette idée appliquée à la lutte desNations, c’est à dire, à la lutte des peuples : une lutte préexistante ; une lutte universellement acceptée ; une lutte apparemment inévitable et perpétuelle.
Mais il y avait toujours cette différence extraordinaire avec le passé : qu’auparavant, les unités démographiques essentiellement tribales — d’un « pays » ou d’une « province » — restaient toujours distinctes (et leurs habitants de petit nombre) et ce, même quand leurs capitaines se rangèrent, avec leurs suites armées, à l’intérieur des levées d’un royaume plus large. Les Bretons, les Provençaux, les Normands, les Bourguignons, par exemple — sortis de leurs terres — ne se comprenaient à peine et se battaient aussi facilement entre eux que de concert. Et tel fut, également, le cas de leurs adversaires héréditaires, outre-manche, et outre-mer, les Gallois, les Anglais, les Irlandais et les Écossais, ainsi que leurs voisins Latins au Sud, et Teutons, au Nord, et à l’Est. Il y avait, donc (et surtout à l’intérieur des moyens technologiques plus primitifs) des limites naturelles à la destruction qu’ils pouvaient provoquer.
Sous la pression des transports et des communications modernes, cependant, les unités démographiques, et les loyautés collectives, devinrent plus grands, pour inclure éventuellement des dizaines de millions de personnes. Et quand nos aïeuls eurent ajouté à cela les possibilités industrielles des forces destructrices scientifiquement développées, il serait évident que la guerre des « nations » deviendrait infiniment plus dangereuse.
Et c’est, ici, enfin, que nous nous devions d’introduire, de nouveau, la pièce maitresse des innovations philosophiques de notre époque — celle qui prenait la place centrale dans toutes les luttes idéologiques du vingtième siècle (incluant aussi notre question de l’euthanasie), c’est à dire : le « Collectivisme » (compris celui-ci, non principalement dans son seul sens économique, mais surtout, dans son aspect spirituel, voir psychologique) ; un principe (une fois conjugué avec l’impératif darwinien) qui eut semblé justifier tous les débordements, non seulement du nationalisme, mais des marxistes, et des fascistes également, avec son corollaire éthique essentiel : l’assujettissement utilitaire des intérêts individuels, à celles d’une unité vitale postulée — de beaucoup plus vaste — de nation ou de classe).
— La conscience collective
Le point de départ de cette trame idéologique est souvent associé avec le nom de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, philosophe allemand, qui vivait de 1770 à 1831, ce qui lui plaça parfaitement, avec Menzel et Wagner, dans la génération qui travailla, en premier, à la construction de ce nouveau nationalisme pan-germanique que nous avions mentionné plus haut. Et en particulier, Hegel postula l’existence d’une véritable « conscience nationale », ou « volksgeist », c’est-à-dire l’existence, en quelque sorte, d’une esprit supérieur qui posséderait ses propres aspirations, mémoire et autres attributs conscients-collectifs.
Admettons que ce soit une idée très séduisante pour quiconque chercherait une raison d’être dans l’appartenance, et dans le partage, d’un destin plus large que le sien propre. Et parmi tous les proto-nationalistes de cette période, en Allemagne comme ailleurs, on imaginait trouver dans cette idée la promesse que les limites et les déceptions de la vie personnelle, incluant même la limite finale de la mortalité, aient pu être dépassé dans l’inclusion, dans une expérience consciente plus grande — la vie consciente de « la nation » — à laquelle les êtres individuels participeraient tous dans le rôle de parties constituantes inférieures, un peu à la façon des cellules dans le corps humain.
Je ne prétends pas traduire fidèlement ici (je me précipite à le préciser), la pensée de Georg Hegel. J’essaye seulement à donner un sens des effets de cette pensée, une fois percolée à travers les couches successives d’une société plus ou moins informée, jusqu’à se déposer dans la conscience des disciples issus spontanément de la masse, c’est à dire : de ceux qui furent les acteurs véritables dans tous les mouvements qui secoueraient bientôt l’évolution du monde.
— La relation de l’individu à la nation
Pour apprécier pleinement les chemins poursuivis par les adeptes de cette idée, et pour élucider plus directement la relation qu’ils y imaginèrent entre l’individu et l’ensemble, je pointerais ici à la définition célèbre de « l’individu » épousée, plus tard, par certains des disciples de Karl Marx : affirmant que la collectivité n’est pas formée de l’addition de particularités (de toutes les individus qui le constituent), mais tout au contraire, que l’individu lui-même ne soit que la quantité résultante de cette opération mathématique impersonnelle : une foule d’un million… divisée par un million.
Dans d’autres mots, toute la spécificité (la subjectivité) de l’individu humain serait ignorée et trivialisée dans sa relation objective à la collectivité.
Fait très important, toujours, cette notion permettait (et permet toujours) à des personnes imbues des convictions matérialistes, de retrouver les mêmes ressources de dépassement de soi et d’autosacrifice qui furent, jadis, l’apanage de la religion. Même que dans cette période (notamment pendant la Révolution-Empire français, la Révolution Bolchéviste, et le Troisième Reich allemande), il y avait un rapprochement savamment orchestré, de ces deux motivations, dans un rappel cérémonial aux vertus confondues, de patriotisme et de vénération divine, qui aient pu être caractéristiques de la vie publique des Romans.
Pour des raisons facilement compréhensibles, d’ailleurs, cette spéculation d’Hegel jouait aussi fortement dans le développement du Fascisme que du Marxisme. Et tel que l’histoire nous ait démontré par la suite : ce cadre philosophique stimulait les adeptes des deux grandes souches collectivistes aux plus sublimes efforts — et aux plus grands sacrifices — dans la poursuite des destins glorieux qui furent projetés pour leurs collectivités respectives.
Cependant, comme nous le savons tous aujourd’hui, beaucoup de ces rêves se sont transformés en cauchemars, personnels et collectifs. Car parfois, selon l’enthousiasme des adeptes, le matérialisme et le darwinisme social ont pu sembler indiquer — en bien nécessaire — des outrages humains parmi les pires imaginables, tels l’asservissement des individus et des peuples « inferieurs » ainsi que le meurtre, même, des premiers, et le génocide des secondes. Ne cherchaient pas, non-plus, les chefs responsables de ces atrocités, de fuir les charges d’inhumanité résultantes, car au contraire : ils se complaisaient dans la conviction illuminée que les tourments psychiques, mêmes, qu’ils ressentirent personnellement (devant l’accomplissement de leurs propres gestes) en faisaient partie du prix exigé dans la poursuite vertueuse du bien collectif.
(Il en fut ainsi — d’exemple frappant — dans l’explication fournie auprès des troupes affectées au fonctionnement des camps de travail et d’extermination Nazis (des années dix-neuf-cent-trente et quarante) au sujet de la nature nécessairement secrète de ceux-ci : que ces troupes dussent prendre pour eux seuls, non seulement l’opprobre des gestes inhumains accomplis, mais aussi, en sacrifice suprême – en intention finale d’abnégation humble sans retenue : la connaissance solitaire des faits, et la compréhension solennelle qu’aucun souvenir de cette immense contribution civilisationnelle ne puisse survivre pour troubler la conscience des générations futures.
Seraient parfaites, alors, la noblesse et la générosité du don de soi exigé, puisque ce don passerait à jamais inaperçu ; sa perfidie incombant uniquement à eux ; un sacrifice resté éternellement secret, sans récompense, ni signalement.)
Pour l’instant, cependant, les aboutissements horribles de ces avancées philosophiques restaient cachés dans les voiles du futur ; ce qui laissait le champ libre pour les intellectuels audacieux — s’épanouissant allègrement dans la liberté de la nouvelle tendance — à les épouser avec vigueur ; et à les promouvoir, avec joie.
— La fin d’un siècle qui fut destinée à se transformer en fin d’époque
Quelle moment tumultueux et enivrant de l’histoire aux autours de l’an 1900 !
C’était un moment où les Nationalistes Pangermaniques imaginaient bientôt jouir de la force unifiée de leur race entière, capable enfin de se tailler l’espace vital (psychologique autant que géographique) dont ils se croyaient les possédants désignés de droit naturel — cette fameuse « place au soleil » — et dont ils se proposaient de s’agrandir, aux dépens de leurs voisins Européens et Asiatiques ;
Où les Français juraient prendre leur revanche pour la défaite humiliante de Napoléon III aux mains de ces mêmes Allemands (1870) et de reprendre ainsi, non seulement la terre sacrée du Patrie — les provinces perdues d’Alsace et de Lorraine — mais aussi leur place dominante en Europe ;
Où les petites populations Slaves dispersés dans la Péninsule Balkanique — Serbes, Bulgares et autres — rêvaient au morcellement des Empires Turc et Austro-Hongroise, et à la possibilité de vivre enfin, librement, chacune leur destin national ;
Où, cependant, les Russes — en image-miroir de l’idéal allemand — rêvaient à l’unification, de force ou de gré, de toute la grande famille Slave ; dans un seul Empire Russe qui s’étendrait de l’Océan Arctique jusqu’à Constantinople (quitte à disputer — avec leurs puissants voisins — tous les états et provinces mitoyens dans lesquels les populations Slave, Teuton et Turc se trouvaient toujours incestueusement entremêlées) ;
Où, encore, les Britanniques (imbus d’un sens de mission civilisatrice dans la colonisation mondiale) géraient déjà le plus grand empire maritime jamais connue, et annoncèrent catégoriquement leur intention de risquer tout — aux fortunes de la guerre — plutôt que de partager l’Haute Mer avec les navires de quelque flotte rivale que ce soit ;
Où s’agitaient déjà les Marxistes — à Berlin, à Londres, à San Francisco, à Paris, à Vienne et à Moscou — ces Révolutionnaires Internationalistes qui imaginaient la victoire « inévitable » des classes laborieuses, et l’instauration d’une dictature universelle ;
Où les États-Unis d’Amérique, encore récemment sortis de la plus importante guerre de l’humanité moderne (qui fut leur propre Guerre Civile de 1861 -1865) se sentaient sereinement confiants, désormais, dans la réalisation de leur « Destinée Manifeste » (1845), et intraitable dans leur insistance sur la « Doctrine Munroe » (1823) par laquelle toute ingérence dans l’Hémisphère Occidental (d’une Puissance quelconque de l’Ancien Continent), serait qualifiée d’acte « hostile » à leur égard ;
Où enfin, et pour tout dire : tel un wagon des montagnes russes qui monte lentement vers la première descente infernale — avec ce claquement mesuré et alarmant d’un engrenage inéluctable — la planète entière se trouva réellement prête à se lancer dans une série de catastrophes, presque apocalyptiques, précipitées précisément par l’entrechoquement de toutes ces ambitions grandioses et contradictoires.
Quel moment enivrant en effet !
— Et l’euthanasie là-dedans…
Matérialisme, Darwinisme, Nationalisme, Collectivisme — augmentés, de surcroit, par la poésie teutonique de Siegfried et d’Artur, cet appel franc à la seule justification de la force naturelle, où les portes du paradis ne s’ouvriraient qu’aux braves combattants.
Voilà, enfin, une description minimale (lamentablement simplifiée, certes, mais peut-être toujours adéquate pour nos besoins) de la soupe socioculturelle, Euro-américaine, qui mijotait tranquillement sur l’arrière ronde de la poêle de notre histoire, quand tout ce train civilisationnel arriva subitement, à la fin du dix-neuvième siècle, sur le précipice extrême des catastrophes imminentes qui furent les deux grandes guerres mondiales, ainsi que les deux grandes révolutions qui furent précipitées, par celles-ci, à leur tour.
Époque joyeuse et enivrante ! Certes. D’une joie tant éphémère et destinée à disparaitre de manière si brutale ! Ou, comme le sentiment et l’histoire me furent communiqués un demi-siècle plus tard par un grand-père qui y avait échangé, personnellement, la liberté de la jeunesse pour les tranchées de la guerre : « Ce fut un temps extraordinaire ! Vraiment… Quel bel été heureux, celui de 1913 ! »
Bien sûr, ce petit détail qui nous concerne (c’est à dire le statut légal et l’opinion publique au sujet de la pratique de l’euthanasie), ne constituait qu’une petite note en marge de la page de l’histoire. Cependant, ce fut dans ce contexte précis — culturel, idéologique et historique — que les gens savants, et les personnalités actives, aient originalement traité de la question (avec un intérêt proprement modern) ; et ce contexte demeure indissociable des conclusions retenues.
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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Des compagnons de route naturels : L’euthanasia et l’Eugénie)
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(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : La morale et la loi — Sous-Section II c) : Quelle morale choisir ? — Chapitre — À quel prix la liberté ?)
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— Une hésitation, et un doute
Voilà (ci-haut décrits) les bienfaits potentiels d’un cadre légal, de mort volontaire, qui se fonderait sur la déclaration d’un droit universel. Mais il n’y en aurait pas que les seuls avantages. Car malheureusement, de solution parfaite, il ne peut y avoir.
En fait, à ce stade de l’analyse, notre tâche s’apparente à celle du clown qui crée des sculptures de ballons pour le délice des enfants : à chaque fois que celui-ci comprime son ballon dans un endroit, elle-gonflera davantage ailleurs. Et devant la pratique de l’euthanasie (une fois admise pour quelque raison que ce soit) nous éprouvons les mêmes difficultés : car avec toute tentative de mater des problèmes spécifiques, nous en aggravons inévitablement d’autres.
Alors, oui (aux avantages théoriques de la liberté pure du choix subjectif) ! Mais encore, à quel prix ?
— La rupture de notre relation sociale, protectrice, vis-à-vis du suicide et de sa prévention
Principalement, un tel droit de mort, explicitement accordé, changerait la relation sociale au suicide de manière radicale. Il exigerait l’articulation de nombreuses conditions. Il rendrait difficile le travail d’information requis pour éviter la malheureuse conclusion que le suicide soit un « bien », en soi, ou à tout le moins un phénomène neutre. Il compliquerait énormément le travail de prévention du suicide. En particulier, il provoquerait une crise au sein de la communauté psychothérapeutique, qui annoncerait un débat âpre et approfondi.
Par contre, s’il y a un lieu approprié pour la confrontation d’idées autour du phénomène suicidaire, ce serait bien au sein des sciences psychologiques, car ce serait seulement à l’intérieur de ces disciplines que les définitions de « capacité » et de « compétence » — requises pour faire les choix envisagés — peut se discuter avec la rigueur voulue, traduite par des protocoles cliniques fondés dans la compétition scientifique.
(Ces discussions, d’ailleurs, se trouvent fortement engagées, déjà, devant l’instauration — largement attendue au Canada et déjà opérante en Bénélux – de l’euthanasie volontaire comme « solution » pour diverses maladies mentales.)
Mais l’objection première, à l’instauration du droit subjectif de choisir le moment et la manière de sa mort — pour tout le monde et sans condition aucune — n’est ni théorique, ni scientifique, ni professionnelle. Elle surgit, plutôt, de l’expérience viscérale de chacun en relation avec les êtres qui lui sont les plus chers. Elle se résume, plus crument, dans cette exclamation tant entendue, instinctive, et presqu’involontaire devant l’hypothèse tragique de toutes ces morts précoces et possiblement évitables : « Oui, mais nous ne pouvions pas simplement permettre à n’importe qui de se suicider ! »
Or, devant l’intensité et la sincérité de ces sentiments exprimés, efforçons-nous, enfin, d’examiner les véritables implications de tels propos. Quelles sont les pertes que nous craignons, devant un tel droit universel ?
— Un fond d’effroi, devant l’octroi d’un droit universel : la perte des êtres chers ; le suicide de nos enfants
De quelles pertes s’agit-il ? De la perte des êtres chers, bien sûr : de nos frères, de nos sœurs, de nos épouses et de nos époux! Mais au bout du compte, pour tous ceux qui aient eu le bonheur de connaitre les joies de la vie en famille, il s’agit, surtout, de la perte tant redoutée de nos enfants ; de ce sacrifice suprême qui dépasse, pour plusieurs, l’anéantissement de soi : car devant toutes les manifestations récentes de la progression des libertés personnelles – de la sexualité élargie, des rapports sociaux complexes, de la consommation de l’alcool et des psychotropes – l’inquiétude sociale et l’opposition personnelle, se sont toujours articulées, principalement, et en premier lieu, autour des effets de cette liberté auprès de ceux que nous craignons, avec une trépidation instinctive, ne pas être – encore — en possession d’une maturité suffisante pour s’y exposer sans danger, c’est-à-dire : de nos enfants.
Ainsi, derrière chaque itération de cette évocation poignante du suicide de « n’importe qui » peut se dessiner l’image précise d’un jeune homme ou d’une jeune femme qui ait pu tragiquement perdre la vie – inutilement surtout — dans les crises nécessaires de la jeunesse. Car, tous, nous savons, que l’adolescence normale peut fort bien engendrer des suicides lamentables sans autre indication aucune. Décidément, alors, personne de parmi nous ne désirerait abandonner cette jeunesse devant une nouvelle indifférence collective. Pourtant, si préalablement, il ne fallait craindre que le suicide simple : de nos jours, faudrait-il aussi redouter la mort « assistée » ; pratiquée sous le manteau rassurant des professions médicales, et avec l’approbation de l’État.
— Le désir d’établir des limites protectrices
Ainsi surgit-il un désir naturel de limiter la portée de cette liberté mortelle, en favorisant une réaffirmation de l’interdit général, assoupli uniquement par des exceptions étroites, accompagnées de conditions qualifiantes, soigneusement circonscrites. Nous aurions voulu (pour puiser de nouveau dans notre corps de sagesse ancestrale), « avoir le beurre, et l’argent du beurre ». Nous voulions, peut-être, reconnaitre le droit de mourir dans l’abstrait ; mais nous aurions voulu, également, restreindre son exercice aux seuls gens dont la perte ne nous dérangerait que peu : à ceux qui sont tellement vieux déjà — ou malades, ou abimés — que leur mort ne nous causent pas de regret (où certainement pas à ce degré extrême, provoqué par la perte d’un frère — ou d’un enfant – en santé).
Dans d’autres mots, et pour dédramatiser le tout : une démarcation nette serait tirée entre le « nous » majoritaire (viable), et « l’autre », marginalisé dans sa dépendance morbide.
Et avec l’identification crue de cette manœuvre de cordon sanitaire, il devient facile, enfin, d’expliquer l’inexplicable, c’est-à-dire, le refus (ou l’incapacité) illogique, mais habituellement impénétrable — de tant de personnes bien-portants — d’admettre (ou même de comprendre) que le moindre danger spécifique puisse en résulter de l’octroi sélectif de ce droit ; que le fait d’être désigné en sujet approprié pour cette intervention médicale meurtrière ne peut jamais être séparé, entièrement, du risque de son accomplissement. Car si, au contraire, risque inacceptable il n’y en avait point, pourquoi la majorité craindrait-elle, instinctivement, d’en partager l’éligibilité ?
(Ou, comme je l’ai souvent demandé auprès de mes interlocuteurs perspicaces et bien-intentionnés : Si vous vouliez fournir une assistance au suicide pour les personnes exactement comme moi, pourquoi refuseriez-vous une telle option pour les personnes exactement comme vous ? Question à laquelle je peux affirmer n’avoir jamais reçu une réponse satisfaisante.)
Ou encore, pour reconstituer cet argument en image-miroir : Si le suicide était « bien » pour les « souffrants », de quel droit refuserions-nous ce bien aux souffrants bien-portants ? Pourquoi pratiquer de la discrimination au désavantage de ceux-ci ?
Décidément, ce serait inutile de prétendre qu’une minorité des gens en santé ne ressent pas de motivations suicidaires ; elle en ressent. Inutile, aussi, de prétendre qu’une majorité des gens malades et handicapés désire accélérer la mort ; elle ne le désire aucunement. Alors, quelle différence réelle en aurait-il ? Pourquoi la permission — et les moyens pratiques — accordés aux uns mais refusés aux autres ?
À la fin, je crois, la réponse à ces énigmes ne se cache à peine sous la formulation originale de la proposition dans laquelle elles trouvent leur naissance : « Nous ne pouvions pas permettre à n’importe qui …. »
Ne devient-il pas évident — malgré les rationalisations, et malgré les astuces rassurantes dans le langage – qu’il n’y a aucune perception du suicide en « bien » ? Qu’au contraire : il provoque toujours un instinct de recul involontaire parmi les personnes « normales » (voir typiques), que ces personnes soient malades, ou non ? Tout au plus ces morts seraient accueillis en mal nécessaire — et rendu nécessaire, seulement, par les désirs subjectifs d’une petite minorité disséminée capricieusement à travers l’ensemble de la population. Ne parait-il pas à la fois naïf et abusif (quoique parfaitement naturel et d’une grande commodité) que de déclarer les désirs suicidaires de cette minorité justifiés — mais seulement quand ces désirs se manifestent parmi une sous-classe plus restreinte de gens que nous pouvions plus facilement décréter hors normes ?
— Une différence de perception des plus significative
Peut-être sommes-nous tous sensibles à cet idéal de « normalité » et aux préjugés qui en soient engendrés. Cependant, il existe un élément très important qui différencie la perception des malades chroniques, et des handicapés, de celle des autres. Et cette différence réside dans un entendement divergeant de la notion même de ce qui soit « normal » : car dans son vécu immédiat, dans son quotidien, dans son image propre, dans son désir primitif de vivre, et de survivre– la personne handicapée et/ou le malade chronique, envisage son existence, à lui aussi, dans les teints de la normalité !
Même, au risque de personnaliser le discours au-delà des limites que je me suis habituellement fixé, je peux affirmer, au lecteur, que les éléments les plus dérangeants de ma condition actuelle sont devenus, pour moi, tout ce qu’il peut y avoir de plus banal ; et quand toutes ces questions de suicide et d’euthanasie sont regardées à partir de la perspective de la personne handicapée non-suicidaire : le fait d’accorder ce droit mortel aux membres de sa catégorie spécifique (à ses semblables, à ses relations, à ses amis) constitue déjà l’octroi d’un droit de suicide à n’importe qui !
Or, le fait de refuser ce « droit de mourir », aux membres de la majorité bien-portant, relève d’un réflexe auto-protecteur au bénéfice de ces derniers qui se pratique de manière visiblement injuste et discriminatoire à l’égard des malades et des handicapés.
– Un refus sélectif d’accès à la bouée de sauvetage
Imaginez, par exemple, que nous étions assises ensembles dans un embarcation de plaisance, chacun muni d’un gilet de sauvetage au cas où celui-ci se trouverait accidentellement projeté à l’eau.
Quelle serait la signification d’une décision collective de retirer ces gilets à toutes les membres d’un groupe minoritaire spécifique, mais à eux seulement ?
Pouvions-nous raisonnablement prétendre que ce procédé ne soit pas imbu d’intention discriminatoire ? Ne serait-il pas absurde de prétendre que le danger décrié par les victimes désignées n’existe pas? Que la manœuvre serait sécuritaire grâce aux « sauvegardes » établies ?
Voyons donc ! Les gilets SONT la sauvegarde ! Et si de danger il n’y en avait point, pourquoi en porterions-nous toujours tous ?
Franchement, il n’y a pas de réponse logique à ces questions. Et de toute évidence, l’incapacité des gens dits « normaux », de saisir instinctivement, et immédiatement, le danger (ainsi que la nature discriminatoire du danger) imposé aux malades et aux handicapés — de par cette retraite sélective de l’interdiction juridique (de l’assistance au suicide) qui nous protégeait tous naguère — ne représente que le reflet fidèle des préjugés ataviques avec lequel nous avons, trop souvent encore, l’habitude malheureuse de regarder nos voisins.
— Une conclusion catégorique
Logiquement, cependant, (en adoptant le ton modéré d’un membre impartial de la collectivité) : si nous voulions imposer le fardeau d’un libre choix de mort (à ce groupe spécifique qui sont les malades et les handicapés) faudrait-il toujours que nous acceptions, aussi, pour nous et pour les nôtres, un même droit, assorti des mêmes dangers.
Et logiquement, encore (en adoptant le ton de récrimination qui soit tant naturel, dans cette matière, à la majorité non-suicidaire des personnes de ma communauté d’appartenance particulière) : les risques que vous imposez maintenant à l’égard de moi et des miens — vous n’en possédez aucunement le droit éthique de vous en soustraire, vous et les vôtres.
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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire…(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Sous-Section II c) : Quelle morale choisir ? — Chapitre : Illuminer notre devoir de choix philosophique : L’essai empirique des critères limitatifs d’éligibilité (dits « sauvegardes »))
(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Au-delà du cadre médical : la mort assistée en phénomène de mode populaire)
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— La satisfaction mal ébauchée du droit de mourir présenté en phénomène médical
Quand nos législateurs s’accouchèrent des mandats de mort médicalement assistée (Québec 2014, Canada 2016), le but de ces innovations visait, avant tout, les soins de fin de vie ; car pour bénéficier de « l’aide médicale à mourir » fallait-il, d’abord, que le patient ait été très près de la mort naturelle. De plus, ces lois furent assorties de d’autres « sauvegardes » diverses qui se voulaient très sévères.
Cependant, des deux personnes les plus influentes dans la suite des contestations légales qui avait abouti à ce résultat – c’est à dire, Sue Rodriquez et Kay Carter – ni l’une ni l’autre ne se trouvait objectivement en « fin de vie » (ni, d’ailleurs, en proie aux « souffrances intolérables »).
Dès le départ, alors, la réponse législative se trouvait non seulement nettement en deçà des revendications présentées, mais aussi : franchement à la remorque de la réalité courante.
— La vraie histoire récente de la mort assistée par médecin
Tel que relaté — il y a trente ans, déjà, et plus de cela — il y avait nombre de médecins (et de pharmaciens) prêts à collaborer dans l’accomplissement de suicides assistés, et notamment parmi ceux qui se soient associés au mouvement de sympathie qui accompagna l’épidémie du SIDA.
En plus, nous avons remarqué que l’un de parmi eux – jamais publiquement identifié – agissant de concert avec Sue Rodriguez, demanderesse vedette devant la Cour Supreme, et avec Svend Robinson Membre du Parlement — aurait carrément mis le Gouvernement du Canada au défi, en pratiquant la mort assistée de Mme. Rodriguez, à l’encontre exprès du jugement rendu, et ce de manière quasi-publique.
— Les implications pour l’évolution des lois futures
Il s’en suivrait, je soumets, de simple logique devant les faits observés, qu’un médecin volontaire, agissant de nos jours avec le même éclat public et avec le mémé désir de provoquer l’engagement d’une véritable cause célèbre – un médecin qui enfreindrait délibérément les paramètres actuels, par exemple, à l’instaure du feu Dr. Henry Morgenthaler (1923 – 2013), qui commercialisa ouvertement sa pratique illégale d’avortement dans les années 1980 — serait ignoré, lui aussi, par un pouvoir peu incline à subir, encore, telle humiliation devant une épreuve semblable.
Plus encore, et de toute façon : aucun médecin Canadien n’a jamais été condamné (ni même formellement inculpé) pour des gestes semblables, et ce, depuis la décriminalisation des tentatives de suicide de 1972. Ajouter à cela que toute supervision des pratiques actuelles de l’euthanasie dépend d’une récolte de données effectuée sur la simple déclaration du professionnel pratiquant ; et représentez-vous, alors, la véritable efficacité des « protections » « limites » et « sauvegardes » incorporées avec tant de sincérité naïve dans les lois que nous connaissions !
En réalité, je soumets, regardée sans complaisance et avec une réflexion conséquente, il nous apparaitrait que la fourberie cynique avec laquelle ces garanties furent offertes, à l’époque, n’avait d’égale que dans l’auto-déception accommodante par laquelle elles furent reçues.
Mais encore là, ce n’est pas tout : car l’assistance au suicide n’est manifestement pas le monopole des seuls médecins.
Ce fut — et ce l’est toujours — l’affaire d’un peu tout le monde.
— La nature contextuelle du lien malheureux qui associe le suicide assisté aux professions médicales
L’acte de tuer n’est pas très compliqué. Quand nous parlons, en fait, des difficultés d’effectuer une mort paisible, il s’agit surtout des difficultés de produire une mort qui soit acceptablement paisible pour des tiers. Car l’application de force brute, telle l’application traditionnelle de l’arme à feu à la boite crânienne, résulte dans une mort essentiellement instantanée, et objectivement sans douleur. Une grande partie, alors, de l’avantage de la médicalisation de la mise à mort se trouve dans la dissimulation de la violence intrinsèque du geste ; si bien que dans la longue période d’illégalité antécédente, le médecin complaisant pouvait agir, face à l’assassinat simple — autant que le suicide — avec une discrétion presqu’indétectable. Une légalisation, par contre, et surtout une légalisation informelle à l’image de la période intérimaire de vingt ans qui suivait la mort impunie de Sue Rodriguez (1993), joue dans le sens d’une démocratisation plus large de la mise à mort.
Déjà au cours de l’épidémie suicide-sida, les médecins ne servait habituellement qu’à fournir les substances nécessaires. Et ensuite, avec un appel plus fréquent à d’autres méthodes létales, les médecins, et la médecine, se trouvaient progressivement écartés de cette pratique. Il ne serait pas trop, même, à imaginer que la légalité du suicide assisté — et possiblement la création d’une nouvelle profession règlementée à cette fin — ait pu épargner les médecins et libérer la médecine, une fois pour toutes, de cette association sordide. Ce qui en fit, très possiblement, une belle occasion ratée.
— Les apôtres de l’assistance non-médicale : Hofsess et Humphry
À l’époque, John Hofsess, celui qui promit à Sue Rodriguez une voie de justice médiatisée vers la mort et l’immortalité, s’est peut-être révélé d’un amateurisme peu flatteur à côté de l’efficacité sobre de Sven Robinson. Mais par la suite (circa 1997), son organisation (Right to Die Society, Canada) s’est transformée, d’une organisation vouée uniquement à la contestation politico-légale (à l’image de la Voluntary Euthanasia Society en UK), dans un réseau d’assistance pratique au suicide (Right to Die Network, Canada), selon la tendance lancée par Derek Humphry (1930 – ), qui fut successivement fondateur de l’Hemlock Society (1980), l’Euthanasia Research & Guidance Organization (1993), et le Réseau Final Exit (2004) ainsi que l’auteur de plusieurs livres populaires sur la méthodologie du suicide, dont : Jean’s Way (1978), Let Me Die Before I Wake (1982), et Final Exit (1991).
Suivant l’inspiration de Humphry, et selon son propre récit posthume, John Hofsess affirma avoir tué huit personnes sans être incommodé par la loi. De plus, même si sa collaboratrice principale, Evelyn Martens, fut arrêtée en rapport avec deux autres cas pour lesquels Hofsess nia toute connaissance, la poursuite s’est terminée, cette fois aussi — à la Rodriguez — sans condamnation.
Or, les actions de Hofsess, et de Martens, ne se produisirent pas dans un vacuum.
— Une description schématique du mouvement « Right to Die »
À l’heure actuelle, les professions médicales agissent selon un mandat d’euthanasie ostensiblement limité par des critères d’éligibilité, et par des modalités d’application, qui se veuillent très strictes. Pourtant les quelques médecins enthousiastes de cette tendance ont déjà trouvé les moyens pour élargir ces barèmes, considérablement, de manière informelle. Et compte tenu du fait qu’il n’y a jamais eu (de mémoire récente) des punitions pour de telles infractions (même avant l’assouplissement de la loi) : pourquoi en craindraient-ils maintenant ?
En même temps (fait qui milite encore plus fortement pour une interprétation complaisante des règlements en vigueur), le cadre médical existant se trouve attaqué en permanence par un lobby dont le but annoncé serait d’atteindre, par étapes, un aboutissement final qui garantirait, à toute personne « rationnelle », un droit de décision libre face au moment, et à la méthode, de sa mort.
Au niveau structurel, ce mouvement comprend des organisations tel « Dignity in Dying », et « Compassionate Choices », qui sont les successeurs modérés des anciennes sociétés « Voluntary Euthanasia » (UK) et « Hemlock » (U.S.A.), et dont le rôle se résume à pousser ouvertement un agenda législatif.
Mais ce n’est pas tout, car selon la meilleure pratique de toute tendance révolutionnaire, le mouvement « Right to Die » se trouvent aussi représenté par plusieurs échelons d’organisations, et d’individus, dont les agissements se veuillent distincts mais complémentaires. Et en premier parmi ces groupes — de visage plus discret mais d’action plus directe — se trouvent le Réseau Final Exit (Final Exit Network), qui fut la dernière métamorphose organisationnelle inventée par Derek Humphry (2004), et l’Exit Internationale de Philip Nitschke (1997).
— Les « réseaux d’auto-délivrance »
Nés dans la frustration, et dans l’impatience, les « réseaux » (dits « d’auto-délivrance ») s’accordent pour définir leur raison d’être dans un besoin d’agir (maintenant et partout), pour faciliter le suicide : quelles que soient les raisons invoquées ; et quelles que soient les conditions de légalité dans chaque endroit. Leur doctrine, donc, en est une de désobéissance civile, c’est à dire de contravention stratégique des lois existantes.
En priorité, ces organisations se donnent à la formation d’accompagnateurs de suicide (nommés par eux des « guides ») ; au développement d’informations et de moyens techniques pour faciliter la mort ; et à la diffusion de ces ressources auprès des suicides potentiels. Cependant, quoique très résolues dans leur appel aux actions poussées à l’extrême limite de l’acceptable, elles demeurent prudentes, également, et se tiennent toujours prêtes à se dissocier des actions plus controversées de leurs adhérents … sans désapprouver celles-ci, ni les condamner pour autant.
Or, en dernier lieu, là où la vraie besogne s’accomplit, il se trouvent les militants « guides » formés par ces réseaux souples et décentralisés ; des personnes de ressource et de soutien, qui choisissent de se mettre à la disposition des individus suicidaires selon le principe que « personne (sic) ne doit se croire obligée de mourir seul ».
— Les « guides » au service des suicides
Il existe, bien sûr, une ambiguïté entre le rôle simple de témoin au suicide et l’implication active qui se définisse toujours en crime (sauf exception médicale). Ces individus, donc, demeurent responsables devant la loi pour leur comportements personnels, même s’ils exploitent les portails de communication de leurs organisations pour entrer en contact avec des suicides potentiels. Or, selon ce modèle d’action, les relations entretenues, les informations et les encouragements offertes, ainsi que les gestes possiblement posés, restent des faits privés dont la portée se baliserait uniquement par les dictats personnels de la peur et de l’audace.
— Les aboutissements pratiques de toute cette énergie organisationnelle, pluri-générationnelle : le témoignage de John Hofsess
Voilà donc, pour la théorie (de la séparation des rôles qui caractérise, à la fois, la revendication ouverte, et la pratique clandestine, des mouvements révolutionnaires). Les êtres humains, cependant, étants ce qu’ils ne le sont, il existe toujours des individus pour enjamber et confondre ces barrières structurelles et stratégiquement protectrices.
Et c’est ainsi que nous nous apercevions encore de l’exemple révélateur de John Hofsess, homme qui eut poussé l’audace jusqu’à tuer huit personnes — se rééditant clandestinement en ange de la mort – au moment même où il cultivait assidument l’image publique d’un chef organisationnel voué exclusivement aux méthodes légales !
Décidément, nous portons une dette importante à l’endroit de l’orgueil et du narcissisme qui nous ait légué les précieuses informations recueillies dans ses « explications » outre-tombe ! Car grâce à cet homme, et grâce à de nombreux autres qui se contentèrent d’agir dans un anonymat plus modeste, nous nous devons maintenant de constater l’existence d’un phénomène de suicide, et de suicide assisté, en partie légal, et en partie clandestin, qui dépasse de loin la portée, non seulement des lois existantes, mais du cadre médical à l’intérieur duquel ces lois furent érigées.
— L’importance du phénomène suicide en mode populaire
Quelle est l’étendue réelle de ce phénomène ? Au juste, nul ne le sait ; mais une porte-parole, à l’époque, nous en aurait donné un indice à cet égard : car celle-ci tenait à signaler très particulièrement le sacrifice et la générosité de Sue Rodriguez, — témoignés en offrant son expérience personnelle comme matière de réflexion publique – « plutôt (sic) que de se prévaloir, tout bonnement, des services clandestins d’assistance au suicide existants, comme faisaient de centaines de Canadiens chaque année ».
En avait-il, peut-être, de la bravade exagérée dans ces paroles ? Il semblerait, pourtant, impossiblement naïf de les discréditer entièrement.
— La fameuse « pente glissante » se révèle en illusion ; une métaphore depuis longtemps dépassée
Voilà, à la fin, un portrait fidèlement peint, non de la spéculation au sujet du futur, mais de la réalité passée et présente. À tout fin pratique : nous avons déjà un régime de liberté quasi-complète à l’égard du suicide assisté. Et le réalignement de nos lois avec cette évidence ne serait, vraisemblablement, qu’une simple question de temps.
Or, vue de cette perspective, je crois pouvoir affirmer que la pente glissante spéculative soit, en réalité, une image inadéquate ; car il s’agit, plutôt, d’un iceberg existant dont l’ampleur submergée ne fait que se révéler progressivement. Et les élargissements visibles dans le phénomène pratique du suicide assisté — remarqués au présent (et redouté pour le futur) — ne sont pas des nouveautés dues aux dérapages, mais simplement des découvertes faites à la lumière d’une retraite de la clandestinité, rendue progressivement superflue.
Dans une société où l’internet abonde de sites consacrés à la discussion et à la facilitation du suicide ; où l’on y trouve autant l’encouragement et la validation des désirs que les descriptions techniques — limpidement détaillées — des moyens « sécuritaires » qui en permettraient l’accomplissement ; dans une société, enfin, où de tels propos et de telles informations circulent sans entrave, et où l’on y entre facilement en contact avec des gens qui se montrent empressés de nous en faire la recommandation intime ; où des gens bien en vue organisent, impunément, des célébrations publiques de suicides particuliers, au terme desquelles les convives se félicitent d’avoir prêté une assistance au moins symbolique (et bien plus pour certains) ; dans une telle société : ce serait difficile de soutenir la prétention qu’il existe encore des barrières réelles au suicide libre, assisté où autre.
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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Au-delà du suicide et de la mort volontaire, au bas de la Pente, se trouve l’euthanasie simple)