(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Sous-section III a) : L’Entre-deux-guerres, la Dépression et la Prohibition — Chapitre: Le véritable “Américain à Paris” : Henry Valentine Miller)
–Une grande influence du vingtième siècle: ignorée dans sa génération mais adulée par la suivante
C’est possible que de tous les artistes actifs, pendant l’Entre-deux-guerres, Henry Miller était éventuellement le plus influent.
Je dit bien “éventuellement” puisque les écrits de Miller étaient proscrits en Amérique, pour raison de “obscénité”, jusqu’à l’an 1964. Dans cette année, La Cour Suprême prennait acte d’une série de litiges judiciaires provoqués par la publication délibérément subversive de son roman-culte “Tropique of Cancer” (1961) et arbitra en faveur de l’auteur.
Seulement à la suite de cette décision, était publié le reste de l’œuvre de Henry Miller (à l’Ouest de l’Atlantique) faisant immédiatement de lui une icône de la contre-culture de l’Après-guerre. Non seulement tenait-il de l’avant-garde, alors, mais d’une avant-garde largement ignorée de son époque.
–Une indifférence atypique devant le grand conflit de sont temps
Un premier indice du détachement qui sépara Henry Miller, de ses contemporains, réside dans le fait qu’il ne servit pas pendant la Première Guerre Mondiale (ayant 26 ans quand l’Amérique entra dans ce conflit), et ce, à la différence de tous les autres auteurs cités dans ces pages (qui avait été en age de ce faire, et tout penchant idéologique confondu) incluant: Hesse, Hemingway, Remarque, Heinrich Mann, Tolkien, Fitzgerald, Sternberg, Churchill et Graves.
Le fait de s’abstenir de participer dans les plus importants événements de son époque en dit très longue, je soumet, sur le caractère de l’homme. Apparemment, les grands crises existentielles du vingtième siècle ne le concernait pas; ou au moins: pas au point de s’y impliquer personnellement.
En fait, le trait principal du caractère de Miller semble résider dans une attention exclusive aux désirs et aux intérêts qui lui étaient propres, incluant, certes, des intérêts philosophiques et idéologiques (dans l’abstrait) mais sans se préoccuper, pratiquement, des besoins d’autrui. Car dans l’affirmation de sa liberté personnelle, Henry Miller se montrait tout aussi prêt à ignorer les besoins de son pays, que d’abandonner femme et enfant, ou de tromper la confiance de ses amis en fréquentant leurs partenaires intimes.
En somme: selon le paradigme moral du passé, Henry Miller avait tout d’un vaut-rien égoïste (ce qui lui qualifia éminemment pour un rôle de héros –ou plutôt de anti-héros– au sein de la contre-culture à venir).
–Le jeune Henry Miller en “proto-Hippie”
Il est étonnant à voir avec quelle précision Miller annonça le profil-type des “décrocheurs” des Années Soixante: fils urbain de famille petite-bourgeoise; papa propriétaire d’un atelier de tailleurs; termine des études secondaires mais abandonne après quelques mois le Collège; embrasse le Socialisme; travail comme “prolétaire”; tente de s’échapper à la ville en faisant essai du travail agricole; retourne à New York; et enfin: réintègre la famille en travaillant dans l’entreprise de son père.
Voilà le trajet d’une vie entre 18 et 25 ans. Voilà, aussi (dans une variation améliorée des faits) qui ait pu fournir la matière d’un ou deux romans instructifs; qui (en montrant la réalité absurde d’un tel parcours) aurait possiblement épargné le même gaspillage de ces premières années, tant actives, à beaucoup de successeurs crédules, incluant (je dois le dire à contrecœur) l’auteur de ces lignes.
La réintégration à la vie normale ne se poursuivit pas, cependant, sans heurte. À 28 ans, Miller pousse son réadaptation sociale jusqu’au point de se marier; et à 30 ans, d’accueillir un enfant. Mais il en est suivie une période de désaffection grandissante (voire: roman “Clipped Wings” –Les Ailes coupés) qui s’est soldée (1924) par l’abandon de sa femme (et de son enfant) à la faveur d’une danseuse “taxi” (nom accordé, autrefois, aux employées de certaines salles de danse, dont les clients louaient les services, une danse à la fois).
De par la même occasion Miller s’est voué à la vocation artistique sans compromis, se jurant de ne jamais plus travailler “indignement”; il lâcha son dernier emploi et se livra avec confiance à la protection de sa nouvelle conjointe: June Miller (1902-1978); lui a 35 ans, elle à 22.
–Henry Miller à Paris (1928-1939)
C’est dans la compagnie de June (Smerth, Smerdt, Mansfield, Smith, Miller), et grâce à l’argent récolté par celle-ci, auprès d’un admirateur plus fortuné, que Henry Miller a pu passer une première année en Europe, principalement à Paris (1928). Ensuite, Miller retourna seul à Paris (1930) et se lia intimement avec Anais Nin (1903-1977) (autre auteure éventuellement influente dans la révolution sexuelle), lui à 40 ans elle à 27.
Une année plus tard Henry fut rejoint par June Miller, qui séduisit Anais à son tour.
Apparemment, ce fut au frais du mari abusé de Nin, le banquier Hugh Parker Guiler (1898 – 1985) que vivait tout ce ménage complexe (jusqu’au divorce de June et Henry, 1934). Tandis que Miller, seul, vivait au dépens du mécène Nin/Guiler pendant plusieurs années encore.
Et c’est ainsi que Henry Miller à su enchaîner sa révolte de jeunesse, presque immédiatement, avec une crise de mi-vie; et de mélanger les deux –de façon très actuelle aujourd’hui– dans un simple refus d’assumer la vie adulte.
(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: La Reforme protestante: une remise en cause, nourrie en grande partie par la lecture populaire des Saintes Écritures)
–La critique d’une Église qui s’était manifestement égarée de ses préceptes originaux
À partir de l’adoption formelle du Christianisme par l’Empire Romain, le reflet institutionnel de ce culte, c’est à dire l’Église catholique Romaine, s’égara peu à peu de la doctrine désintéressée de Jésus à l’égard du pouvoir temporel (« Ma royauté n’est pas de ce monde… » Jean 18:35) dont la description iconique se conserve dans le récit poétique des Tentations du Christ.
Matthieu 4: (8) Le diable le transporta encore sur une montagne très élevée, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, (9) et lui dit: Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m’adores.
(10) Jésus lui dit: Retire-toi, Satan! Car il est écrit: Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul. (11) Alors le diable le laissa. Et voici, des anges vinrent auprès de Jésus, et le servaient.
Il serait impossible, je soumets, d’éviter des sentiments inconfortables dans la comparaison de cette doctrine, tant limpide, avec la splendeur et le pouvoir de l’Église Catholique au cours de la période féodale; ainsi qu’avec son rôle de collaboration, d’influence –et parfois de domination– dans les conseils des potentats de l’époque
Plus tard, le grand écrivain Russe, Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski (1821 – 1881) décrivit cette splendeur institutionnelle (de façon ironique mais pas moins condamnatoire) comme rien de moins que la réalisation blasphématoire du pacte démoniaque: offert jadis à Jésus; refusé par ce dernier; mais accepté, après sa mort, par ceux qui se disaient ses disciples.
(Dans un autre place, d’ailleurs, cet auteur inimitable invente une version imaginaire, du retour du Christ, où celui-ci se fait immédiatement arrêter par l’autorité ecclésiastique; et, où le Grand Inquisiteur –parfaitement connaissant de son identité divine– lui somme de partir sur le champ, et de ne jamais revenir.)
Ce sont des plaisanteries qui s’accordaient bien avec certaines opinions exprimées depuis déjà très longtemps à la fin des années quatorze-cents. Par contre, il y a différence entre regretter les abus perpétrés par des personnes condamnables à l’intérieur de l’institution de l’Église, et de créditer ces abus à l’institution même.
Or, au début du seizième siècle, c’étaient réellement de telles critiques –livrées à l’endroit de l’Église catholique comme telle– qui provoquèrent ce que nous appelons la Réforme protestante.
–Usurpation, par l’Église, des prérogatives réservées à Dieu seul
Outre le luxe et l’immoralité souvent associés avec le clergé (et les ordres monastiques en particulier), les réformateurs s’attaquaient à ce qu’ils croyaient être une appropriation, par l’Église, de pouvoirs qui ne relevaient (selon eux) que de Dieu. L’exemple par excellence de cet abus concernait la vente des “indulgences”, ou “lettres de pardon”, qui se voulaient les garanties écrites de la rémission de péchés, accordée par les agents du Pape, en retour d’une contribution monétaire.
Cette pratique était longtemps condamnée, notamment, par John Wycliffe (1330-1384), reformater Anglais, et par le Tchèque, Jan Huss (1373-1415) tout deux des prédicateurs précurseurs de la Reforme comme telle. Le premier fut excommunié de manière posthume, tandis que le deuxième fut brûlé vif en hérétique –bien que les adhérents “Hussite” se défendaient toujours (et dominaient largement) en Bohème et en Moravie, jusqu’à l’an 1620 quand ils furent enfin annihilés par les forces Catholiques, au tout début de la Guerre de Trente Ans (1618-1648).
Martin Luther (1483 – 1546) –communément considéré comme le véritable auteur de la Reforme proprement dite– s’exprima longuement sur la vente d’indulgences dans ses célèbres “Quatre-vingt-quinze thèses”, théâtralement clouées sur la porte de l’Église du château de Wittenberg, le 31 October 1517.
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–Luther et les indulgences
Luther affirma, d’abord, que ni les agents du Pape, ni le Pape lui-même, n’aient pu se porter garants de la rémission des pêchés, car cette rémission ne peut se vendre ni s’acheter: étant uniquement dépendante de la volonté divine.
52. Il est vain de croire à un salut acquis par les lettresd’indulgences, même si le commissaire des indulgences ou,mieux, le pape, donnaient pour cela leur âme en gage.
28. Il est certain que dès que la pièce tinte dans lacaisse, le gain et la cupidité peuvent être augmentés; maisl’intercession de l’Église dépend du jugement de Dieu seul.
Ensuite, Luther dénonce le fait de détourner les fidèles, ainsi, de leur seule véritable voie de salut, soit: la contrition et la charité (et ce, en leur proposant d’acheter, tout bonnement, la rémission de leurs pêchés).
39.Il est extrêmement difficile, même aux plus savants théologiens, d’exalter en même temps auprès du peuple la profusion des indulgences et la vérité de la contrition.
43. Il faut apprendre aux chrétiens que celui qui donne aux pauvres ou prête à celui qui est dans le besoin fait mieux que s’il achetait des indulgences.
Finalement, il est remarqué qu’il soit inutile, pour les vrais chrétiens, d’acheter des indulgences, car la rémission des pêchés leur revient, déjà, de plein droit de par la promesse divine, sans aucune nécessité d’intercession papale.
36 N’importe quel chrétien, vraiment repentant, a pleine rémission de la peine et de la faute; elle lui est due même sans lettres d’indulgences.
87. De même: que remet ou répartit le pape à ceux qui, par la contrition parfaite, ont droit à une pleine rémission et participation?
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–La résolution des controverses doctrinales: l’autorité biblique contre celle de l’Église
La vente des indulgences, étant la monétisation directe de la rémission des pêchés (et donc la monétisation crue de l’entrée à la paix éternelle), était facilement indiquée comme une usurpation scandaleuse (par l’Église) des pouvoirs divins. Mais le principe en était beaucoup plus large.
Où, par exemple, trouverait-on l’autorité pour trancher dans les interprétations doctrinales?
Or, les deux sources d’autorité communément admises étaient les saintes écritures (la Bible) et les dires des potentats de l’Église (les prêtres, les evêques, et en dernier lieu le Pape). Mais qu’adviendrait-il au cas qu’un différend opposerait les dires des ecclésiastiques et le texte de la Bible?
De manière pratique, ces problèmes avaient toujours été résolues au bénéfice de l’autorité pastorale et pontificale. Car la signification des écrits bibliques était fixée par l’interprétation de ces mêmes ecclésiastiques, étant essentiellement les seuls capables de lire (ou même de approcher physiquement) les rares manuscrits existants.
Pendant des siècles, alors, et malgré l’apparition (et la suppression) de quelques souches divergerantes importantes, l’Église avait toujours réussi à garder un grand contrôle doctrinal. Or, elle favorisait dans ce but (et très délibérément) une image de l’homme en brebis; membre obéissant d’un troupeau intellectuel; sous la tutelle du prêtre/berger. Et elle réprimait aussi, instinctivement, toute originalité dans la pensée populaire (et toute autonomie d’analyse chez l’individu).
Les premiers réformateurs, par contre, s’appuyaient sur une lecture directe des textes saints, pour élaborer une critique biblique de l’Église, comme Luther lui-même faisait face aux indulgences.
La propagation générale de ces arguments demeurait très difficile, cependant, du fait que la Bible n’existait qu’en langue antique (et en forme manuscrite) et donc sa lecture était inaccessible, non seulement au peuple, mais à beaucoup parmi le clergé lui-même.
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–La traduction et l’impression de la Bible: la vulgarisation (démocratisation) des controverses doctrinales
Or, pour pallier à cette déficience, et malgré un interdit catégorique assorti des plus sévères sanctions: Wycliffe traduisit la Bible en Anglais: les successeurs de Hus en firent autant en Tchèque: et Luther en Allemand.
Aussi, la difficulté extrême de reproduire la Bible en forme manuscrite posait obstacle à sa diffusion élargie. Or, tel était précisément le fruit premier de la révolution de l’imprimerie: car Johannes Guttenberg (1400-1468) publia la Bible en Latin vulgaire (1455); tandis que William Tyndale (1484-1536) en fut de même en Anglais (1526); et que la traduction allemande de Martin Luther fut imprimée en 1522 (Nouveau Testament) et 1534 (intégrale).
Sans doute, la traduction, et l’impression de la Bible favorisaient l’éclosion de nouvelles critiques (au sujet des comportements de la classe ecclésiastique et des doctrines de l’Église); mais surtout: elles augmentèrent, prodigieusement, le nombre de personnes qui pouvait y prendre part.
Enfin, toute la trame critique de la Reforme dépendait de cet accès de plus en plus large au Textes saints; et de leur analyse libre, de plus en plus populaire.
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(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Sous-section III b) : La suite des choses: Une deuxième génération sacrifiée à la guerre, et la Contre-culture des Années Soixante)
–“Le début d’un temps nouveau” (1970): Auteur-compositeur Stéphane Venne (1941-); Artiste-interprète Renée Claude (1939-2020)
Chapitre: L’Après-guerre: un retour au “normal” désiré (et largement attendu) mais impossible dans les faits
–Une brave apparence sur des blessures profondes et partout ressenties
Regardée superficiellement, la société ne présenta pas, à ce moment, les symptômes évidents d’une tourmente aussi profonde que celle dont j’aurais tenté, ici, de tracer les lignes : le paradigme de crime-et-châtiment se poursuivait avec un recours généreux à la peine capitale; le devoir patriotique du soldat ne fut pas encore largement contesté (au moins pas en principe); les gens fréquentaient assidûment les divers lieux de culte et ils enseignaient toujours à leurs enfants un credo inchangé de « bien » universel; la chasteté, le mariage et l’enfantement « légitime » furent les conditions requises pour bénéficier d’un statut de femme « respectée » (ou mème minimalement sécuritaire); le divorce fut un phénomène marginal qui ne toucha, essentiellement, que les riches. Mème l’échec de la Prohibition ne démentit pas, visiblement, cette apparence de continuité dans les formes traditionnelles, puisque cet échec ne représenta pas un recul par rapport aux devoirs préalablement reconnus de l’individu devant la société. Au contraire, il a pu être présenté comme le rejet d’une innovation proposée, et donc, comme la réaffirmation du statu quo, et des valeurs du passé.
Mais l’état d’une société ne se découvre pas dans une image immobile telle une photographie unique. Au contraire, la société possède aussi, à tout moment, une direction et un élan dans son évolution. Et je prétends, qu’ici, c’était précisément cet élan, cette direction –ce mouvement– qui fut brisé dans le désabusement de l’Entre-deux-guerres, épitomé et symbolisé pour nous dans la défaite de la Prohibition.
De notre point de vue rétrospectif, en fait, les signes sont évidents : dans le malaise omniprésent affiché par les ouvrages culturels dits « sérieux » contrasté avec la gaieté facile (et souvent cynique) de la culture populaire; ou encore, dans la morosité générale de la population au sujet des prospects futurs de sécurité économique; dans un monde ou il n’y avait pas encore d’avortement généralement disponible, mais où il y avait tout de même un taux de natalité aussi bas que celui que nous connaissons aujourd’hui; dans un monde, enfin, où la formule électorale célèbre du Président Franklin D. Roosevelt — « Un poulet, dans chaque pot, à chaque dimanche » — passait, dans l’esprit populaire pour l’image d’une opulence idyllique et somptueuse !
Mais considérons un instant: Un poulet ? Une fois par semaine ? Parmi une famille de 5 ou de 15 ? Est-ce une suffisance alimentaire digne d’être proposée en but idéal de faste sociétal ? Et le reste du temps on mangeait quoi ? Des fèves au riz et du riz aux fèves ? Et encore! Puisque dans la réalité des Années Trente il manquait même ces nécessités minimales.
–une fenêtre qui s’ouvre sur le vrai, obliquement, par voie d’humour
Pour illustrer la profondeur de la psychologie pessimiste du moment, il y avait une plaisanterie très populaire qui se répétait encore parmi les survivants (et parmi les enfants des survivants) des décennies plus tard. Elle se dit comme suit: « Si nous avions du jambon, nous pourrions faire des œufs aux jambon…si nous avions des œufs… ».
Imaginons, je vous prie, la mentalité des personnes pour lesquelles de tels propos aient pu servir pour provoquer le rire, et la gaieté !
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–Une fissure sociale qui s’ouvre visiblement avec l’arrivée de nouveaux enfants, tant différents de leurs frères (et sœurs) aînés
Voilà, en fait, un monde où les gens avaient peu, et qui ambitionnaient peu; mais qui s’attendaient néanmoins à ce que même ces ambitions des plus modestes eussent été frustrées dans l’occurrence. Et encore! Cette description s’applique aux conditions de paix… Qu’en serait-il (fantôme qui hanta toujours la pensée inconsciente) avec un retour aux exigences de la guerre ?
Nous assistions, donc, au spectacle d’une compétition entre la fortitude (extérieure) et le malaise (du dedans). Et, tel que nous le savions: une courte génération plus tard la carapace apparemment indestructible de cette société millénaire était destinée à éclater en lambeaux devant le refus simple de ses membres.
C’est comme si la civilisation occidentale s’était efforcée de fournir le meilleur d’elle-même (comme un arbre dont s’écoule sa meilleure –et sa dernière– sève) dans la jeunesse qui gagna la Deuxième Guerre mondiale (nommée aujourd’hui “la plus grande des générations”). Et à l’apogée de ce zénith apparent, le Président John F. Kennedy, ce bel homme typique de sa cohorte, croyait pouvoir proclamer, le 20 Janvier 1961 (dans une affirmation suprême de la confiance et de la résolution nationale; inébranlable même devant la nouvelle menace d’une guerre illimitée aux armes nucléaires):
“Nous payerons n’importe quel prix; nous porterons n’importe quel fardeau; nous supporterons n’importe quelle privation; nous soutiendrons tout ami; nous opposerons tout adversaire… Alors, mes compères Américains: Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays!”
Et pourtant! Seulement deux ou trois années plus tard, les rues se remplissaient de jeunes gens qui scandaient leur refus du sacrifice. Que ce soit celui de la guerre: « Au Diable votre loi ! Nous n’irons pas » ( “Hell no, We wont go!”); ou encore celui de la reproduction: « L’avortement sur demande ! Sur demande et gratuitement ! » (“Free abortion on demand”).
Au Québec, un manifeste artistique précurseur de ce mouvement fut publié, dès 1948, par le peintre/sculpteur Paul-Émile Borduas (1905 – 1960) sous le titre “Refus global”. Ce texte illustre extrêmement bien la rupture civilisationnelle décrite dans ces pages, perçue, toujours, à l’intérieure des particularités Québecoises.
–Des spéculations toujours séduisantes (mais contraires aux faits vécus)
Nous pouvons spéculer, toujours, sur la possibilité que notre société ait pu retrouver son équilibre –et sa confiance– après la Première Guerre mondiale: au cas qu’elle ait pu temporiser suffisamment pour résoudre tranquillement la crise économique; au cas qu’elle ait pu –peu à peu– oublier les pertes, et cicatriser les blessures de la guerre elle-même; au cas que la nouvelle Société des Nations fondée sur les ruines de la catastrophe récente, eut pu véritablement remplir sa mission de prévenir les affrontements futurs; et au cas, surtout, que cette société ait pu trouver une réponse philosophique adéquate pour neutraliser l’attaque nihiliste (apparemment inséparable du matérialisme scientifique) qui s’est abattue sur le paradigme traditionnel d’intention divine, absolue et transcendante.
Mais, tragiquement, comme nous ne le savons que trop bien: la trame réelle de notre histoire en fut toute autre.
(Et, malheureusement — fait accessoire mais toujours significatif: la réputation et l’autorité de notre vénérable ami grec, Hippocrate de Cos, en furent aussi destinées à souffrir, fortuitement –et je le soumets: inutilement– comme dommage collatéral suite à la furie qui accompagna ces changements sociaux séismiques.)